Après cette performance dont furent témoins tous les participants de la fête, ils finirent leurs jours de la meilleuie manière et la divinité se servit d'eux pour enseigner qu'il est plus utile d'être mort que vivant. Les Argiens entouraient les jeunes gens, leur faisant compliment de leur force, et les Argiennes félicitaient leur mère d'avoir de tels enfants. Comblée de joie tant par les louanges que par l'action qui les avait méritées, la mère,debout devant la statue, pria la déesse d'accorder à Cléobis et à Biton, ses deux fils qui l'avaient si bien honorée, ce qu'il peut échoir de plus heureux à l'homme. Après cette prière eurent lieu le sacrifice et le repas rituel, puis lesjeunes gens s'endormirent dans le temple même. Ce fut pour ne plus se réveiller: ils moururent. Les Argiens firent faire leurs statues et les consacrèrent à Delphes, comme celles d'hommes excellents.
Il n'y a aucune raison de supposer qu'il y a déjà eu des « batailles générales » dans cette longue campagne. Les Grecs, pour venger Ménélas, se sont installés fortement à proximité de la ville et, depuis dix ans, ont multiplié les coups de main, les ruses limitées, les actions locales, ont attaqué les îles vassales et gêné les communications des Troyens sans pourtant rendre impossible leur ravitaillement ou l'arrivée de renforts alliés. La réputation du généralissime Hector, les murailles construites par un dieu les ont dissuadés de tenter davantage. De leur côté, les Troyens, à l'abri derrière ces murailles, n'ont jamais risqué un affrontement général en rase campagne. Il n'y a rien d'invraisemblable dans tout cela, ni militairement ni, à plus forte raison,dans la logique de l'épopée, qui a tout intérêt à concentrer l'attention de l'auditeur sur la partie décisive des opérations,sur ce qui annonce et commence la fin, la mort d'Hector.
« Allons, couchons-nous tous deux et livrons-nous aux joies de l'amour. Jamais encore la passion n'a ainsi enveloppé mon âme depuis que j'ai navigué après t'avoir enlevée de l'aimable Lacédémone et que, sur l'île de Cranaè, je me suis uni à toi dans les plaisirs du lit jamais comme aujourd'hui je n'ai été épris de toi, jamais ne m'a saisi à ce point le doux désir.»
C'est, au quatorzième chant, la longue scène où Hérè procède avec méthode à l'« endormissement » de son époux Zeus, qui contrôle de trop près les événements. Elle veut, selon une méthode éprouvée au moins dans les romans le soûler de plaisir. Forte de son droit d'épouse, majestueuse et belle, elle devrait y suffire. Elle tient pourtant à mettre toutes les chances de son côté et recompose ainsi, et cette fois en harmonie, le même tableau trifonctionnel qui, ailleurs, soutient par son ajustement les États ou garantit les serments, mais qui, dans le reste de l'lliade, par sa rupture interne, cause tant de malheurs.
Les malheurs de Troie n'ont pas commencé avec l'imprudent jugement de Pâris, sous le riche et fécond Priam. Le père de Priam, Laomédon avait, lui aussi, irrité de redoutables puissances et payé de sa vie non pas, comme le prince-berger, un «péché de troisième fonction », un penchant excessif pour la volupté,mais un péché plus grave encore, un péché de roi, /Ô6piç Péché
unique ? Certes, mais péché prolongé en trois temps. Ou, si l'on préfère, trois péchés de même ressort en série causale.
Georges Dumézil - La tripartition indo-européenne