Quand
L'Amant de
Marguerite Duras a été publié et a obtenu le prix Goncourt, en 1984, bien que dévoreuse de livres, je ne me souviens pas d'en avoir beaucoup entendu parler. J'avais sans doute alors d'autres préoccupations.
J'ai vu le film de
Jean-Jacques Annaud longtemps avant de lire ce roman autobiographique, une autofiction dirions-nous aujourd'hui.
Commencer par
l'Amant n'était pas une bonne idée car ce livre auréole son autrice d'une aura particulière, sensuelle et sulfureuse dont j'ai d'abord eu du mal à me détacher.
Je viens de relire ce court récit.
Avec le temps, j'ai appris à mieux connaître la belle écriture de
Marguerite Duras, à l'apprécier dans sa fausse fluidité, sa complexité, et peut-être aussi à lire entre les lignes. Cette relecture alors que je connais mieux le parcours de cette femme m'a éclairée sur sa personnalité, sa biographie.
Son JE est ici souvent distancié, elle repasse fréquemment à l'omniscience de la troisième personne. J'ai adoré la puissance évocatrice et la sensibilité de ce texte.
L'Amant ne peut pas être réduit au récit des amours d'une jeune fille de quinze ans et demi et d'un banquier chinois de trente-six ans à la fin des années 1920 en Indochine… Certes, la partie initiation sexuelle a son importance et l'histoire d'amour entre Marguerite et son amant relève de la transgression ; leur relation est à la fois belle, passionnée et malsaine car la jeune fille est mineure et il est beaucoup question d'argent…Mais il y d'autres clés de lecture à explorer.
C'est aussi une histoire de famille sur fond d'implantation française en Indochine au sortir de la première guerre mondiale.
Marguerite Duras est née le 4 avril 1914 à Gia Dinh, une ville de la banlieue Nord de Saïgon. Après la mort de son père et un court séjour en métropole, sa mère s'installe, à partir de 1923, à Vinh Long, une ville située dans le delta du Mékong avec la fillette et ses deux frères aînés.
Marguerite est une adolescente brimée, inscrite de force par sa mère dans un lycée pour y étudier les mathématiques alors qu'elle rêve de devenir écrivaine. Elle ne partage pas les ambitions de sa mère et s'entend mal avec l'un de ses frères, au caractère violent et aux moeurs dissolues ; elle préfère le second, fragile et délaissé. La famille manque cruellement d'argent et vit dans le paraître. La mère est distante, égoïste, paradoxalement intrusive mais également peu concernée par ce qui arrive vraiment à sa fille. Elle apparaît intéressée et vénale, encourage la séduction de sa fille, l'incite à porter des toilettes provocantes, profite des avantages pécuniers fournis par
l'amant, agissant presque comme une mère maquerelle.
Le contexte socio-économique est également particulier : les parents de Marguerite avaient choisi de travailler dans les colonies françaises comme directeur d'usine et institutrice.
Les mariages mixtes étaient très mal vus, les liaisons entre autochtones et colons prohibées par la bienséance. le récit illustre bien la séparation entre les communautés dans l'Indochine du début du XXème siècle.
Le personnage de
l'amant est très intéressant, mystérieux, jamais nommé. C'est plus un révélateur, un catalyseur qu'un protagoniste à part entière. Il est simplement l'instrument d'une initiation, d'un rite de passage. Malgré l'ambiguïté des relations entre lui et la jeune fille, je n'arrive pas à le trouver antipathique au contraire de la mère…
En conclusion : un court roman d'une incroyable densité…
L'Amant fait partie de ces livres que l'on redécouvre à chaque nouvelle lecture.
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