Ce petit roman autobiographique relate le premier amour de l'auteure ; un amour tortueux, douloureux, impossible... L'histoire se déroule à Saïgon, à proximité du Mékong. Il est Chinois et a le double de son âge ; il risque la prison. Elle est française et a à peine 15 ans. Mais au-delà de l'âge, son père refusera le mariage de son fils avec la «petite prostituée blanche», ce serait un déshonneur. Ils ne parleront ainsi jamais d'avenir et il lui dira d'emblée qu'il n'a pas la force de l'aimer contre son père, de la prendre et de l'emmener. Pourtant, il en est fou d'amour...
Leurs rencontres seront douloureuses. Il souffrira d'autant l'aimer, pleurera quand ils feront
l'amour et dira qu'il est dans un amour abominable. Elle se montrera froide, dépourvue d'affect. Mais en fait, elle ne portera en elle que les stigmates d'une enfance traumatisante. Lorsqu'elle s'offrira à lui, elle dira que «les baisers sur le corps font pleurer, qu'ils consolent». Elle n'a pas appris les touchers qui réconfortent.
Si
l'amour occupe une place importante dans le roman, l'histoire d'une famille pathologique constituera à mon sens le coeur de ces pages. Elle a grandi auprès d'une mère dépressive, désespérée, imprudente, inconséquente, irresponsable... Une mère qui, aux moments de crises, se jette sur elle, la bat à coups de poing, l'enferme dans sa chambre. Une mère jalouse, qui lui fera honte et qu'elle décrira ainsi: «Elle marche de travers, ses cheveux sont tirés, vêtue de grisaille comme une défroquée. Elle me fait honte, tout le monde la regarde, elle, elle ne s'aperçoit de rien, jamais, elle est à enfermer, à battre, à tuer». Cette mère entretiendra avec ses enfants un lien dépourvu d'autorité ; les rôles seront inversés. Elle viendra la nuit se blottir contre eux pour soulager la peur. Marguerite se fera la réflexion qu'avec sa mère, «ce n'est pas qu'il faut arriver quelque part, c'est qu'il faut sortir de là où l'on est». Chaque jour est un combat, il faut se battre et survivre. Et pourtant, elle ne prévoyait pas ce qu'elle est devenue à partir du spectacle de son désespoir...
Pour ajouter à cette histoire familiale en ruine, elle n'a que peu connu son père, mort très tôt. Quant à ses deux frères, l'un sera violent, violeur et méprisable. L'autre mourra d'une pneumonie. Elle parlera d'elle-même avec dureté et irrévérence. Estimera qu'à 15 ans, «son visage est parti dans une autre direction, qu'il a été dévasté». «J'avais à 15 ans le visage de la jouissance et je ne connaissais pas la jouissance. Tout a commencé de cette façon pour moi, par ce visage voyant, exténué, ces yeux cernés en avance sur le temps. J'étais triste. J'avais peur de moi, j'avais peur de Dieu, et quand c'était le jour, j'avais moins peur et moins grave apparaissait la mort. Mais elle ne me quittait pas».
J'ai lu quelque part que peu avant la parution de ce roman,
Marguerite Duras sortait d'une longue cure de désintoxication. Ce recul évident sur les événements de sa vie ne peut qu'en être empreint. Ce livre est assurément touchant, il m'a profondément perturbée. Elle nous raconte sa jeunesse avec une telle franchise, un tel sang froid... Une jeunesse marquée par la violence, le désarroi et la tristesse. Je lirai un jour «
Yann Andréa Steiner», ce roman écrit pour son dernier amant. Au jour de sa mort, à l'âge de 81 ans, Marguerite laissait Andrea dans le deuil, alors qu'il n'avait que 43 ans. Mais avant cette lecture, il me faut assurément m'affranchir de celle-ci...
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