Quelques semaines après mon incursion à Gémina, la Capitale du Sud racontée par
Guillaume Chamanadjian dans le « Sang de la Cité », j'entre dans Dehaven, la Capitale du Nord qui sert de décor à la vie d'Amalia, la narratrice du roman de
Claire Duvivier. Deux Capitales qui formeront, une fois les trois tomes de chacune publiés par Aux Forges de Vulcain, le Cycle de la Tour de Garde.
Je mets donc Nox de côté et découvre Amalia. de prime abord, je suis un peu décontenancé, voire refroidi. L'accroche est pleine de promesses : « Je suis le produit d'une expérience éducative ». Tout est dit ou presque. Il sera question d'éducation et si Amalia se décrit comme « le produit » plutôt que « le fruit », c'est que la métaphore poétique n'a pas sa place dans la Cité-Etat de Dehaven. D'où mon « refroidissement » initial : l'écriture parait froide, laissant peu de place à l'émotion, même les premières conversations me hérissent le poil car j'ai une tendance naturelle à ne pas supporter que le passé simple se glisse dans les dialogues du quotidien des personnages et Amalia en use et en abuse et… Et tout s'éclaire, tout s'illumine plutôt rapidement : le récit entier émane d'une jeune femme dont l'éducation a banni la poésie et l'imagination au profit des sciences ; écrire, pour elle, est un geste technique, dans sa bouche, comme dans son récit, le passé n'est que simple, précis, rarement composé. À partir du moment où ce parti pris est intégré, je me laisse embarquer et ne lâche le roman qu'à la dernière page, estomaqué.
Qu'est-ce que c'est malin et admirablement bien construit ! Tandis que dans la Cité de Gémina, la poésie et l'imagination ont une place prépondérante et la magie un rôle plutôt limité à la seule personne de Nox, ici, à Dehaven, Cité dans laquelle l'éducation d'Amalia ne voit que par un certain pragmatisme, la magie devient un élément-clé auquel se confronte les héros, Amalia, Hirion et Yonas, les trois « produits de l'expérience éducative » conduite par des parents aristo soucieux de préserver le rang social auquel ils appartiennent. Impossible de ne pas se laisser embarquer par la plume de
Claire Duvivier et ce tour de force d'adopter le ton d'Amalia tout en créant des personnages « secondaires » qui, eux, deviennent vecteurs d'émotions, permettant à l'héroïne d'évoluer, d'apprendre la vie autrement que par ses professeurs. La ville, elle-même, est un personnage à part entière ; inspirée d'Amsterdam, quand Gémina, elle, s'inspirait de Sienne, Dehaven est une Cité portuaire à l'atmosphère peu chaleureuse dans laquelle les tensions sociales et commerciales éclosent, impliquant la famille d'Amalia et laissant présager des conflits qui n'attendent qu'une étincelle pour devenir explosifs.
Impossible d'en dévoiler davantage sur l'intrigue absolument prenante, sur les personnages tout en nuance, très attachants, sur les réflexions intéressantes concernant l'éducation et les relations humaines qui peuvent amener à se pencher sur l'écho qu'elles font à notre société, ou sur la place centrale de ce jeu de la Tour de Garde dont les pions et le double fond semblent être le miroir de deux Cités au bord du chaos. Et cette fin ! P** de B*** de M*** , cette fin dont je ne peux rien dire !
Bon, tu l'as compris, « Citadins de demain » est un vrai coup de coeur, une belle découverte de l'écriture de
Claire Duvivier et une confirmation que les
Forges de Vulcain entament avec ces deux premiers tomes de la Tour du Garde un Cycle de Fantasy made in France, capable de séduire à la fois les grands amateurs du genre, je pense à Rémi de l_encre_de_la_magie, et les néophytes dont je suis.