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Que reste-t-il après la mort ? de Sylvie, un incendie a détruit jusqu'à la dernière photographie et l'ultime objet usuel. Pour son époux Fabre et son fils Paul, il devient de plus en plus difficile de se la représenter précisément, les mots sont impuissants à l'incarner et de leurs efforts ne naissent que « des hologrammes que dégonfle la moindre imprécision ». En vérité, une image de la disparue subsiste quand même : figurée en pied dans une fresque publicitaire couvrant tout le pignon d'un immeuble parisien, en surplomb d'un square formant le coin d'une rue, elle sourit, pour l'éternité semble-t-il, la main tendant en offrande un flacon de parfum.


Alors, le père et le fils prennent l'habitude, en un cérémonial réglé et réconfortant aux presque allures de culte marial, de venir se recueillir devant cette effigie, qui, le bras tendu dans sa robe bleue, semble leur accorder son inaltérable et bénévolente bénédiction. Il n'est pas jusqu'au ravalement de façade de l'immeuble, pour, par contraste avec sa nouvelle modernité, donner comme plus de prix encore à ce témoignage patiné, survivant au temps et à l'oubli. Pourtant, d'éternité il n'est plus guère question longtemps : devenu friche puis dépotoir, le square abandonné cache un temps sa honte derrière des palissades taggées, mais finit par laisser libre champ à un nouveau projet d'occupation de son sol.


L'image souriante qui, bravement, résistait au lent effacement programmé par les intempéries, se retrouve progressivement recouverte, comme le Zouave du Pont de l'Alma à la crue montante, par l'élévation des étages d'un nouvel immeuble résidentiel, destiné à combler le trou qui béait si vilainement dans la gencive de la rue. Il semble à Paul que la Sylvie de la fresque va suffoquer lorsque le catafalque de béton se referme enfin sur son visage et c'est comme une seconde mort qui survient, enfermant dans un sépulcre le dernier vestige concret de sa mère. Mais les Fabre n'ont pas dit leur dernier mot. le père s'étant rendu acquéreur de l'appartement occultant les narines de Sylvie, les deux hommes s'empressent de gratter le mur, pour, tels des restaurateurs de fresques à Pompéi, permettre à l‘image de reprendre vie…


Une vingtaine de pages suffisent à Jean Echenoz pour camper magnifiquement cette histoire de temps qui passe et use jusqu'aux souvenirs, défiant les hommes, depuis toujours préoccupés d'éternité et de traces de leur passage. Des pyramides égyptiennes à toutes les oeuvres d'art, les générations humaines qui se succèdent, occupant chacune leur tour le sol de cette terre, ont ainsi inventé la seule chose qui leur permettent de traverser symboliquement les âges : ces réalisations que les archéologues et les conservateurs de musées s'emploient avec passion à préserver…

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Le Monde Urbain asphyxie le Monde Chlorophyllien !
Le ciment ignore la rébellion des graphittis ou les alertes des affiches.
Inlassablement, le « plan d'occupation des sols » construit, détruit puis reconstruit.
Froidement aussi, il déconstruit des Vies.
Jean Echenoz marque son Territoire en déposant subtilement son empreinte dans la matrice de ce petit roman.
/!\ Attention ! écoulement lent, prise rapide !
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Ce petit livre, tout frais sorti de la machine à écrire de Jean Echenoz, est, n'ayons pas peur des mots, une petite merveille.
Cela s'intitule L'occupation des sols. [...] On est ébloui par l'inspiration, par le style, par la cocasserie, par l'impressionnante efficacité narrative d'Echenoz. Si quelqu'un vous propose d'échanger 90 % des romans français publiés depuis un an contre ces seize pages là, n'hésitez pas, acceptez, c'est une bonne affaire.

Pierre Lepape, le Monde
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De l'impermanence du monde en quelques pages echenoziennes.
Sylvie a brûlé, avec ses meubles et ses photographies. Fabre, l'époux, peine à dire à son fils qui elle était. "Il s'épuisait à vouloir la décrire toujours plus exactement". "Ca ne se rend pas". Alors le dimanche, père et fils partent en pèlerinage du côté de la rue Dieu pour user leurs yeux à une représentation géante de Sylvie Fabre, peinte sur le flanc d'un immeuble, madone publicitaire en robe bleue vantant un parfum.
Le père s'agace contre le fils. "Regarde un peu ta mère, s'énervait Fabre que ce spectacle mettait en larmes, en rut, selon".

Le temps passe, les villes changent. L'un des immeubles jouxtant celui de la représentation maternelle est détruit. Un nouveau bâtiment le remplace. le square miteux que surplombe l'image unique n'échappe pas à la déréliction. "Son parfum levé par-dessus la charogne, Sylvie Fabre luttait cependant contre son effacement personnel, bravant l'érosion éolienne de toute la force de ses deux dimensions. Paul vit parfois d'un oeil inquiet la pierre de taille chasser le bleu, surgir nue, craquant une maille du vêtement maternel ; quoique tout cela restât très progressif".
De cette déréliction du square inutile découle l'érection d'un nouvel immeuble, murant peu à peu Sylvie. Et la ferveur du fils pour la seule image maternelle va croissant.

Il va s'agir de sauver la Sylvie de pierre puisque la Sylvie de chair se consuma en son temps. Fabre loue un studio dans la nouvelle construction, plan en main. Derrière le mur, il le sait, il le croit, Sylvie irradie. "Selon ses calculs il dormait contre le sourire, suspendu à ses lèvres comme dans un hamac; à son fils il démontra cela sur plans".
Fabre, père et fils, vont gratter la paroi au risque de l'incendie."On gratte, on gratte et puis très vite on respire mal, on sue, il commence à faire terriblement chaud". Chez Echenoz les ruines sont poétiques.

Et si l'image est vouée, elle aussi, à disparaître, j'arrête mes collections Panini.
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Ne trouvant rien de mieux à ajouter, voici:

Pierre Lepape (Le Monde, 8 janvier 1988)

« Ce texte tout frais sorti de la machine à écrire de Jean Echenoz, est, n'ayons pas peur des mots, une petite merveille. Cela s'intitule L'Occupation des sols, cela raconte l'histoire d'un homme et de son fils dont la seule image de l'épouse et mère défunte qu'il peuvent contempler est peinte sur un immeuble dans un quartier “ en rénovation ”. On est ébloui par l'inspiration, par le style, par la cocasserie, par l'impressionnante efficacité narrative d'Echenoz. Si quelqu'un vous propose d'échanger 90 % des romans français publiés depuis un an contre ces seize pages-là, n'hésitez pas, acceptez, c'est une bonne affaire ! »
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Quand on n'a pas de tête, on a des jambes et des livres aussi, apparemment! Arrivée bien trop tot a une rendez-vous pour cause de tête de linotte, j'ai mis ce temps à profit pour lire ce court « roman » de 21 pages.

Il ne reste de Sylvie Fabre qu'une immense fresque publicitaire vantant un parfum capiteux. Son mari et son fils se rappellent donc d'elle en visitant religieusement cette fresque tous les dimanches. Mais la ville, évidemment, est implacable et les nouvelles constructions menacent…

J'ai retrouvé ici la plume drôle et poétique de Jean Echenoz que j'avais déjà beaucoup appréciée dans « 14 ». Ce récit très court sur le deuil et le souvenir n'a pas manqué de m'émouvoir. Par contre, qualifier une nouvelle de roman et la vendre à prix d'or, je dirais que ça manque de retenue!
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Echenoz ne m'a pas déçu, sa langue et sa faculté d'évocation subtile et discrète m'ont encore séduit.
Le procédé commercial en revanche m'a ulcéré, quelle arnaque de publier ce volume ne renfermant qu'une seule nouvelle de 25 pages!

PS : je viens de parcourir la polémique suscitée par la règle des 250 caractères.
Peut-être devrait-on exiger des éditeurs un minimum de contenu pour la commercialisation d'un livre.
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Une oeuvre plutôt originale et exceptionnellement courte, bien loin du volume habituel livré par Echenoz. Ce n'est pas la plus grande réussite de Echenoz, mais ça vaut le coup d'oeil quand même!
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Le talent dans la brièveté. Un beau texte sur l'éphémère, sur les souvenirs qui s'estompent doucement, à l'image d'une fresque sur le mur d'un immeuble. Ou comme ces objets abandonnés au fond du canal Saint-Martin. La vie passe vite et les objets disparaissent aussi. Un joli petit livre que l'on a envie d'avoir tout le temps sur soi.
Lien : http://www.urban-bushmen.com..
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Lumineux
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