Citations sur Vie de Gérard Fulmard (60)
Il avait bien changé depuis les élections de Belfort, Terrail. Ses yeux fatigués par dessus leurs poches, et comme prêts à rentrer s'y coucher, se posaient lentement sur les choses pour s'y coller avant de s'en arracher, puis de changer péniblement de direction avant de s'agripper ailleurs: viscosité d'un regard qui, de toute façon, m'a ignoré.
Non loin d’eux, seule et nue, Louise Tourneur va et vient dans une piscine de vingt mètres sur douze. En arrière-plan se dresse une villa moderne et tarabiscotée : décrochements et surplombs, verrières polychromes, échauguettes bivalves, balustres asymptotes et autres finasseries.
La piscine est bordée sur ses largeurs de cactées géantes en pots et, sur une de ses longueurs, une barrière végétale constituée de volumineux agaves en rang la protège des regards extérieurs. Alentour se déploie une terrasse en marbre antidérapant ponctuée de jarres vernissées dans lesquelles se développent du Melianthus major ou du Fatsia japonica. Des fauteuils en fibre de chanvre, chaises longues en cuir de lézard noir et tables basses en ronce de benjoin définissent un salon d’été, autour d’une desserte supportant nombre d’alcools faibles et forts, sodas, boissons énergétiques, avec un seau à glace en vermeil repoussé au flanc duquel, tendrement, le soleil vient de poser un lascif reflet. On est chez les riches, il fait beau.
Puis je pouvais écouter, la nuit, les cris et gémissements de leurs coïts affaiblis ou stimulés par les bières, plus faciles à comprendre que leurs énoncés, les bruits de copulation n’ayant pas besoin d’être traduits : ce sont partout à peu près les mêmes, tout le monde entend bien ce dont il s’agit, c’est une espèce d’espéranto qui n’aurait pas raté son coup.
[R]ien ne me déplaît chez Louise Tourneur. La totalité de sa personne me ravit, point par point. Regard, visage, allure, sourire. Silhouette, attaches, élégance, formes. Prestance, distinction, voix. Mais assez parlé de moi.
"S'il ressemblait pas mal à son père, il ressemblait surtout à quelqu'un qui vient réclamer un loyer. Mes côtes et mon épaule se sont tout de suite rappelées à moi."
Rassurante autant que majestueuse, non moins autoritaire que bienveillante, la moustache de Franck Terrail ne relève pas de l'assertorique mais de l'apodictique : on ne se demande pas pourquoi il l'a laissé pousser, on ne peut simplement pas l'imaginer sans elle.
De l'humble crépi populaire à la façade hâbleuse en verre miroir, de la brique sociale bon marché d'entre-deux-guerres à la brique rouge et ocre émaillée en dents de scie, d'un post-haussmannisme sans le sou à un louis-philippard fauché, d'Empire en Art déco tout aussi fatigués, la rue de Javel n'était qu'une succession de blocs hétéroclites en matériaux désassortis sans états d'âme.
À ses pieds, au premier plan, verticalement délimité par le ruban gris fer du pont de Bir-Hakeim et celui bistre et blanc du pont de Grenelle, horizontalement par les cordons de quai liserés d'immeubles beiges à moulures et corniches, constructions galonnées de feuillus roussâtres, le foulard brun de la Seine s'écoule immobilement, divisé en deux pans que passemente le fil gris de l'île aux Cygnes, là-dessus la Tour Nelson et ses voisines couchent de longs rectangles d'ombre.
Cet hôtel, somme toute, je m'y faisais. Je m'y sentais moins coupé du monde que dans l'appartement de la rue Erlanger. Résidant à plein temps, j'avais ainsi loisir d'entendre tout le jour les sonores allées et venues, montées et descentes d'escalier, exclamations, interpellations tonitruantes et polyglottes et souvent imbibées des touristes à bas budget. Puis je pouvais écouter, la nuit, les cris et gémissements de leurs coïts affaiblis ou stimulés par les bières, plus faciles à comprendre que leurs énoncés, les bruits de copulation n'ayant pas besoin d'être traduits : ce sont partout à peu près les mêmes, tout le monde entend bien ce dont il s'agit, c'est une espèce d'espéranto qui n'aurait pas raté son coup.
Il paraît amusé comme si ce n’était qu’une drôle d’idée, incongrue mais divertissante, comme si l’on venait de lui proposer un pique-nique en station d’épuration, un week-end sur champ d’épandage.