Citations sur Le Nom de la rose (522)
En ces occasions-là, apparaissait dans ses yeux une expression de vide et d'absence, et j'aurais soupçonné qu'il était sous l'empire de quelque substance végétale susceptible de donner des visions, si l'évidente tempérance qui réglait sa vie ne m'avait pas induit à repousser cette pensée.
Le diable est l'arrogance de l'esprit, la foi sans sourire, la vérité qui n'est jamais effleurée par le doute.
- Mais qu'y avait-il de si intéressant pour vous dans mon rêve ? Il n'avait ni queue ni tête, comme tous les rêves !
- Il avait une autre queue, une autre tête, comme tous les rêves, et les visions. Il faut le lire allégoriquement ou analogiquement...
- Comme les Écritures !?
- Un rêve est une écriture, et maintes écritures ne sont que des rêves.
Sixième jour, Après Tierce.
- Mais alors, dis-je, à quoi sert de cacher les livres, si on peut remonter des visibles à ceux qu'on occulte ?
- À l'aune des siècles, cela ne sert à rien. À l'aune des années et des jours, cela sert à quelque chose. De fait, tu vois à quel point nous sommes désorientés.
- Combien de terre doit cultiver pour son propre compte qui n'est pas prébendier...
- Oh ! pour ça, dit Rémigio, une famille normale peut posséder là-bas jusqu'à cinquante tables de terrain.
- Combien mesure une table ?
- Naturellement, quatre demi-perches carrées.
- Des perches carrées ? Cela fait combien ?
- Trente-six pieds pour quatre demi-perches. Ou si tu veux, quatre cents perches linéaires font un mille piémontais. Et calcule qu'une famille — dans les terres vers le nord — peut cultiver des olives pour au moins un demi-sac d'huile.
- Un demi-sac ?
- Oui, un sac fait cinq hémines, et une hémine fait huit coupes.
- Mais qui avait raison, qui a raison, à qui la faute ?
- Tous avaient leurs raisons, ils se sont tous trompés.
- Mais vous, criai-je presque dans un élan de rébellion, pourquoi ne prenez-vous pas position, pourquoi ne me dites-vous pas où est la vérité ?
[...]
- Le maximum qu'on puisse faire, c'est regarder mieux.
J'ai vu, je vous le jure, Abbon, j'ai de mes yeux vu, des hommes de vie vertueuse, sincèrement partisans de la pauvreté et de la chasteté, mais ennemis des évêques, que les évêques poussèrent dans l'étau du bras séculier, que ce dernier fût au service de l'Empire ou des cités libres, en les accusant de promiscuité sexuelle, sodomie, pratiques abominables — dont peut-être d'autres mais pas eux s'étaient rendus coupables. Les simples sont de la chair à boucher, à utiliser quand ils servent à mettre en crise le pouvoir adverse, et à sacrifier quand ils ne servent plus.
(Une petite citation à méditer, lorsqu'on parle du " problème " des banlieues.)
- Je dis que nombre de ces hérésies, indépendamment des doctrines qu'elles soutiennent, s'implantent avec succès chez les gens simples, parce qu'elles leur suggèrent la possibilité d'une vie différente. Je dis que très souvent les simples ne savent pas grand-chose en matière de doctrine. (...) La vie des simples, Abbon, n'est pas éclairée par la sapience et par le sens vigilant des distinctions qui fait de nous des sages. Et elle est obsédée par la maladie, par la pauvreté, rendue balbutiante par ignorance. Souvent pour maints d'entre eux, l'adhésion à un groupe hérétique n'est qu'un moyen comme un autre de crier son propre désespoir.
Il menait une enquête inquisitoriale, et il se prévalait d'une arme formidable que tout inquisiteur dans l'exercice de ses fonctions possède et manœuvre : la peur de l'autre. Car tout homme soumis à l'inquisition dit d'ordinaire à l'inquisiteur, par peur d'être soupçonné de quelque chose, ce qui peut servir à rendre suspect quelqu'un d'autre.
Je ne voudrais pas être injuste avec les gens de ce pays où je vis depuis des années, mais il me semble qu'il est typique de la faible vertu des populations italiennes de ne pas pécher par crainte de quelque idole, tout saint qu'ils l'appellent. Ils ont plus peur de saint Sébastien ou de saint Antoine que de Christ. Si quelqu'un veut garder un endroit propre, ici, pour qu'on ne pisse pas dessus, comme font les Italiens à la manière des chiens, il faut qu'il y peigne une image de saint Antoine avec la pointe d'un bâton, et cette image chassera ceux qui s'apprêtaient à pisser. Ainsi les Italiens, et grâce à leurs prédicateurs, (...) ne croient plus à la Résurrection de la chair, ils n'ont qu'une peur bleue des blessures corporelles et des malheurs ; c'est ainsi qu'ils craignent davantage saint Antoine que Christ.