Ce tome fait suite à The Wild Storm Vol. 3 (épisodes 13 à 18) qu'il faut avoir lu avant. Les 24 épisodes forment une histoire complète : il faut donc avoir commencé par le premier. Celui-ci contient les épisodes 19 à 24 initialement parus en 2019, écrits par
Warren Ellis, dessinés et encrés par
Jon Davis-Hunt, avec une mise en couleurs réalisée par Steve Buccellato &
John Kalisz.
Dans l'appartement qui sert de quartier général à son équipe, Jenny Mei Sparks est en train de raconter sa vie, en particulier le fait qu'elle ait couché avec Rita Hayworth et avec Orson Welles, mais pas en même temps. Shen Li-Men, Jack Hawksmoor et Angie Spica ont du mal à croire tout ce qu'elle raconte. Ils lui demandent de ne pas s'éparpiller : elle passe donc à la fois où elle s'est retrouvée sur Mars en 1955. Elle était à bord d'une flotte de vaisseaux spatiaux, porteurs de soucoupes volantes, une expédition montée par Skywatch. du fait des conditions à la surface de la planète (pas d'atmosphère, pas de champ magnétique, un taux de radiation très élevé), la base de Skywatch avait été installée sous terre après une intense campagne de forages. Les conditions de vie peu agréables l'ont amenée à quitter Skywatch dès son retour sur Terre. Peu de temps après, Henry Bendix a commencé son ascension aux postes de responsabilité de l'organisation jusqu'à en devenir le chef tout puissant. Seule la nécessité de rester une organisation occulte l'a retenu de faire terraformer Mars. Jenny Mei Sparks continue ses explications : pendant 70 ans la balance de pouvoir entre Skywatch et Internal Operations (IO) a été équilibrée, chaque organisation servant de contre-pouvoir à l'autre. Mais il y a quelques années, elle a constaté que cet équilib
re devenait de plus en plus instable. Et puis Angie Spica a fait son apparition dans son armure technologique, révélant dans le même temps l'existence d'un autre extraterrestre (Jacob Marlowe), avec sa propre équipe secrète.
À la télévision, les informations regorgent de phénomènes causés par des individus dotés de superpouvoirs pour qui sait les identifier. Apollo est en train de les regarder sur son téléphone, au lit avec Midnighter. Ils évoquent la possibilité de réaliser une attaque contre une base terrest
re de Skywatch pendant la nuit. Dans les locaux d'IO, Jackie King consulte des archives pour déterminer comment Angie Spica a pu faire sortir autant d'informations du site. Une assistante lui rappelle qu'elle a une réunion. King lui dit qu'ils se débrouillent sans elle, et lui demande un rapport rapide sur la possibilité de réactiver l'essaim de robots informatiques pour une nouvelle attaque contre le satellite de Skywatch. Sur le toit d'un hôpital dans la dimension spirituelle du Jardin, Shen Li-Men est en train de discuter avec les autres docteurs. Elle réussit à les convainc
re de lui donner les informations dont elle a besoin. Les précédents docteurs lui dévoilent la première expédition de Khera vers la Terre, les 5 catégories sociales de Khera, le concept de goulet d'étranglement de Gaia, d'échappatoire en avant, et la présence des Daemons sur Terre (les représentants de l'Autre). Ils terminent avec l'histoire personnelle d'Emp (Jacob Marlowe) et son objectif réel.
Le temps est venu de découvrir la fin de cette nouvelle itération des personnages de l'univers Wildstorm, en particulier de cette équipe de Authority qui ne dit pas son nom et qui n'est pas complètement constituée. En fonction des lecteurs, cette lecture se sera avérée particulièrement irritante, parce que très éloignée de la saison initiale de
The Authority (1999/2000) par
Warren Ellis &
Bryan Hitch, ou au contraire un jeu stimulant. le scénariste avait indiqué dès le départ que son intention était de proposer une version de The Authority en concordance avec son temps, c'est-à-dire 20 ans plus tard que l'initiale, soit le début du vingt-et-unième siècle. Force est de reconnaître qu'il en donne pour son argent et pour son content au lecteur, qu'il soit dans la première ou dans la deuxième catégorie. L'épisode 19 apporte toutes les explications révélant les tenants et les aboutissants de la situation. La relation entre Skywatch et IO est explicitée dans les détails, mais le principal avait déjà été dit auparavant. Cela donne lieu à de nouvelles scènes où
Jon Davis-Hunt fait des merveilles. Il réalise toujours des dessins éminemment descriptifs, avec des traits de contours très fins et précis, des cases méticuleuses et soignées. le lecteur en prend plein la vue avec le dessin en double page montrant la flotte de vaisseaux de Skywatch se déplaçant dans l'espace. Il en reprend plein la vue avec l'approche et l'atterrissage sur Mars, visions spectaculaires de la flottille descendant vers la surface de la planète dans le silence de l'espace. Les 6 pages illustrant l'historique de la politique d'expansion de Khera, les changements induits sur Terre, et la politique de l'échappatoire en avant sont tout aussi splendides. le contraste avec le couple homosexuel au lit n'en est que plus saisissant et fait ressortir tout le naturel de ce moment d'intimité dans une relation durable.
L'épisode suivant est consacré à une intervention de Midnighter & Apollo, alors qu'ils n'ont pas encore été contactés par Jenny Mei Sparks. Il y a quelque chose d'étrange à voir
Warren Ellis donner une autre version des personnages qu'il a créés, et d'un peu inutile du fait qu'ils étaient parfaits dès la première fois. En même temps, il y a quelque chose de très touchant à les voir plus jeunes, plus réfléchis, moins cyniques et tout aussi efficaces. le scénariste réussit son pari à les rend
re différents, mais pas forcément incompatibles avec leur version originelle.
Jon Davis-Hunt épate le lecteur en reprenant le côté spectaculai
re de
Bryan Hitch, et le côté plus posé de
Frank Quitely, pour une narration visuelle entièrement personnelle, factuelle et percutante. Après la lectu
re de cet épisode, tous les doutes se sont envolés. Oui Ellis a bien fait de revenir sur sa création et de la faire évoluer. Oui,
Jon Davis-Hunt est l'artiste de la situation même s'il n'a pas la force élégante de Hitch ou la préciosité de Quitely. La suite ne fait que confirmer ce constat : l'intervention suivante d'Apollo & Midnighter est tout aussi rapide et efficace, avec l'aide de Jenny Mei Sparks et son équipe, la menace finale est encore plus spectaculaire. La tension monte au fur et à mesure et le scénariste est entièrement lib
re de ses mouvements, le récit ne se déroulant pas dans l'univers partagé DC. Il y a donc des morts dans ces affrontements, impossibles à prévoir par le lecteur. Les dessins soignés et fins servent le récit, rendant plausibles les inventions improbables : la collection de missiles tête en bas stockés dans le satellite Skywatch, l'attaque des soucoupes volantes sur une ville de province, la géante, les affrontements mortels dans les rues de New York.
Les auteurs n'en délaissent pas pour autant leurs personnages. À part pour Apollo & Midnighter, il n'y a pas de costume de superhéros.
Jon Davis-Hunt représente des individus jeunes, avec des morphologies normales, sans musculature hypertrophiée, sans obsession sur les courbes féminines. Il est aussi à l'aise pour insuffler de l'énergie et du mouvement dans les scènes d'action que pour concevoir des plans de prise de vue intéressants pour les dialogues. Il a créé une identité visuelle facile à mémoriser pour chaque personnage, et le lecteur voit bien les esprits équilibrés (les individus ralliés par Jenny Mei Sparks) et ceux qui sont déjà bien partis dans leur tête (Henry Bendis,
Miles Craven tous les deux rongés par une paranoïa alimentée par leurs insécurités). En observant leur langage corporel et leurs expressions, le lecteur peut comprendre l'état d'esprit de Jackie King et celui d'Ivana Baiul, et constater que leurs objectifs sont très différents, entre s'acquitter de la mission afférente à son poste, ou prendre soin de sa carriè
re. Davis-Hunt se montre tout aussi habile dans les relations interpersonnelles plus intimes, que ce soit Alex et Lucas couchés l'un à côté de l'autre, ou les 4 individus dormant dans le même lit, après une partie de jambes en l'air.
Pourtant
Warren Ellis n'a pas épargné le dessinateur en termes d'actions, ou en termes de scènes de dialogue. Il fait preuve d'une inventivité dans les 2, avec un sens remarquable de la tension, de la surprise et de l'efficacité. Outre les interventions de Midnighter & Apollo, il suffit de considérer comment se déroule l'assassinat de Jackie King par Ben Santini pour se rendre compte de l'habileté avec laquelle le scénariste sait rendre tout possible et cohérent. le lecteur se laisse emporter par ce divertissement de haut vol, un thriller sur fond d'espionnage, de superpouvoirs sans costume et de science-fiction. Il a gardé en tête la déclaration d'intention de l'auteur et s'interroge sur les différences de cette version d'avec l'initiale, en quoi cette itération est plus en phase avec la fin des années 2010. Il ne s'agit plus d'une équipe formellement constituée, mais plus d'une collection d'individus réunis par les circonstances, par leurs capacités et par la prise de conscience de l'une d'entre eux de la nécessité d'agir. Ils font de leur mieux avec leur capacité et leur objectif n'est pas de défendre la Terre contre une invasion ou des individus dotés de superpouvoirs. Leur objectif est d'éviter la destruction de la Terre par des organisations qui se sont placées au-dessus du citoyen de base, au-dessus des gouvernements. Il est possible de considérer que Jenny Mei Sparks et les autres font preuve de désobéissance civile pour empêcher deux organisations secrètes de ne considérer que leur propre intérêt et que ce qui provoque leur chute est à la fois la paranoïa de leur chef respectif, et l'absence de transparence dans leurs actions. En ce sens, cette version des superhéros Wildstorm est effectivement différente de la précédente, et plus en phase avec une société en quête de transparence, cherchant à préserver l'avenir de la planète et à échapper au joug d'organismes (entreprises) multinationales, omnipotentes et semblant dicter leurs conditions (de vente) à l'humanité, juste en vue d'assurer leur expansion, leur pérennité, leur hégémonie et l'augmentation de leurs profits à court terme.
Warren Ellis n'a pas perdu la main et
Jon Davis-Hunt dispose d'un niveau de compétence à la hauteur pour donner à voir toute l'inventivité du scénariste. Cette saison finit en apothéose, apportant une réponse aux questions générées dans les parties précédentes, associant divertissement spectaculaire, personnages crédibles et réflexion sur les tendances dominantes de la société.