En dépit du brio de la langue et de quelques morceaux de bravoure, les histoires contées dans ce livre ne font pas selon moi un roman.
Comme dans un jeu de ball-trap, les personnages qui composent cette gigantesque danse macabre surgissent tels des disques d'argile pour être dégommés aussitôt, au bout de quelques pages ou de quelques lignes.
Aux deux extrémités du roman, le jeune David Mazon, jeune thésard en ethnologie débarqué de Paris, s'immerge pour de longs mois dans un village des Deux-Sèvres pour y étudier les moeurs de la néo-ruralité : ce diptyque raconté sous la forme d'un journal est écrit dans un style alerte et non dénué d'humour.
Mais le coeur du livre est beaucoup moins convaincant. Utilisant l'idée que les âmes migrent depuis la Nuit des temps selon une farandole éternelle dans des corps nouveaux - animaux, végétaux, minéraux -, le narrateur (qui n'est plus David Mazon) fait surgir une galerie de personnages, célèbres ou inconnus, qui ont vécu entre Nantes, Poitiers et Rochefort, et qui sont reliés par un fil ténu aux personnages croisés dans la 1ère partie. Cette migration des âmes devient un dispositif narratif usé jusqu'à la corde par
Mathias Enard. On comprend qu'il est le prétexte à faire un portrait du département des deux-Sèvres. On y croise notamment
Agrippa d'Aubigné,
Pierre Loti et un Vendéen au moment de la Terreur. Il y a de très belles pages dans ce livre dense et touffu (plus de 400 pages) mais elles composent une sorte d'immense patchwork aux couleurs dépareillées.
Ambitieux, brillant autant que foutraque et agaçant, j'ai eu souvent la tentation de le jeter aux oubliettes.
La scène centrale du Banquet qui donne son nom au roman est un brillant pastiche de
Rabelais qui aurait pu faire une nouvelle, mais qui n'apporte rien à la progression du roman.
Bizarrement, j'ai retrouvé ce même côté hétéroclite dans le livre pourtant très différent de Carrère.