« Allez par le monde entier, proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira pas, sera condamné. » Tels furent les mots que le Christ ressuscité adressa à ses disciples assemblés pour le repas. Et tandis que j’obéis à cet ordre, le visage du Christ se dessine à mes yeux. Quels étaient ses traits ? L’Écriture n’en dit rien. Vous savez aussi bien que moi que les premiers chrétiens se représentaient le Christ comme un berger : manteau court et petite tunique, tenant d’une main la patte de l’agneau et de l’autre le bâton, figure familière dans nos pays où tant de ceux que nous connaissons ont cette même apparence. C’est ainsi que les premiers chrétiens imaginaient le doux visage du Christ. L’Église d’Orient nous le montre avec un long nez, des cheveux bouclés et une barbe noire, un Oriental. Quant aux artistes médiévaux, nombre d’entre eux ont donné à son visage la splendeur de l’autorité royale. Moi-même, ce soir, je le vois tel qu’il est sur la fresque de Borgo-San-Sepolcro, je me souviens avec acuité de la première fois où, séminariste, je la contemplai : le Christ, un pied posé sur le tombeau, tient un étendard dans sa main droite. Il regarde droit devant lui avec l’expression d’encouragement qui fut la sienne lorsque, par trois fois, il dit à ses disciples : « Pais mes brebis, pais mes brebis, pais mes brebis… » C’est un visage qui reflète la vie et la force, je me sens pour lui un amour immense. Je suis toujours fasciné par le visage du Christ comme un homme l’est par celui de sa bien-aimée. (pp. 37-38)
"Vous êtes venus en ce pays afin de donner votre vie pour eux,en fait ils donnent la leur pour vous."
Si l'on impose à des êtres ce dont ils ne veulent pas, ils ont tendance à dire merci sans raison. Ici, il en va ainsi de la doctrine chrétienne. Nous avons notre propre religion, nous en refusons une qui est étrangère et nouvelle. A moi-même, elle a éte enseignée au séminaire et je la juge déplacée au Japon.
Comme Ferreira détournait la tête, le prêtre surprit soudain une larme blanche perlant à ses yeux. Le kimono japonais, noir ! Les cheveux châtains attachés derrière de la tête à la manière japonaise ! le nom, Sawano Chuan ! Et pourtant, cet homme vit encore ! Seigneur, vous vous taisez toujours. Devant une vie comme celle-ci, vous prolongez ce profond silence !
Si Dieu n’existe pas, comment l’homme pourrait-il supporter la monotonie de la mer et sa cruelle indifférence ? (Mais en supposant… je dis bien en supposant.) Au plus profond de mon être, une autre voix murmurait pourtant. En supposant que Dieu n’existe pas…
Terrifiante idée ! S’il n’existe pas, tout est absurde. […] le plus grand crime contre l’Esprit, c’est le désespoir, mais du silence de Dieu je ne pouvais sonder le mystère.
Que cherchent ces paysans japonais auprès de moi ? ces êtres qui travaillent, vivent et meurent comme des bêtes, découvrent dans notre enseignement une voie leur permettant enfin de s'affranchir de leurs chaînes. Les bonzes bouddhistes les traitent comme du bétail. Longuement ils ont vécu dans la résignation à leur sort.
Sa prière n'était pas une action de grâces, mais un appel au secours, elle lui fournissait de plus l'excuse à exprimer ses griefs et sa rancœur, sentiments déshonorants pour un prêtre. Il savait bien qu'il n'aurait pas dû y donner libre cours alors que sa vie était censée être vouée à la louange de Dieu. Pourtant en ce jour d'épreuve, tandis qu'il se sentait pareil à Job atteint de sa lèpre, comme il lui était difficile d'élever la voix pour glorifier le Seigneur !
Le péché, songea-t-il, ce n'est pas ce qu'on croit communément, ce n'est pas de voler et de mentir, c'est, pour un homme, de marcher brutalement sur la vie d'un autre, insoucieux des blessures qu'il laisse derrière lui.
Le silence de Dieu. Depuis vingt ans déjà, la persécution s'est allumée, la terre noire du Japon a retenti des lamentations d'innombrables chrétiens, elle a bu à profusion le sang rouge des prêtres ; les murs des églises se sont écroulées et, devant cet holocauste terrible et sans merci qui lui était offert, Dieu n'avait pas rompu ce silence.
Au Japon, notre Dieu est en tout point pareil au papillon dans la toile d’araignée, la forme demeure mais il n’en subsiste que le squelette.