La trame du livre m'avait séduite : une femme - Irène - dont le mariage exsangue n'en finit pas de pas prendre fin découvre, à la faveur d'une bévue, que son mari - Gil - lit son journal intime, un carnet rouge, à peine caché, dans un tiroir de son bureau, "sous un tas de bolducs et de papier cadeau". Germe alors dans son esprit une idée d'une rare violence : celui de continuer à l'écrire à seule fin qu'il le lise et donc d'utiliser l'écriture comme vecteur de déstabilisation et de destruction psychologique, à petit feu, de son conjoint. Elle continuera, en parallèle, à rédiger son vrai journal, bleu cette fois, qu'elle dissimule dans un coffre à la banque.
A la limite de l'asphyxie, Irène dérive entre alcool et inertie, incapable de finir les livres qu'elle commence, incapable d'achever sa thèse sur
George Catlin, incapable de quitter Gil qu'elle hait, de l'affronter, de mettre un terme à leur vie, à leur famille, incapable de se protéger, de protéger ses enfants, incapable d'être leur mère. Elle les voudrait tout à elle, soucieuse qu'ils l'aiment elle : elle, surtout pas lui. Au-delà, elle révèle une personnalité intraitable, cruelle, perverse où l'autre ne semble avoir aucune place réelle.
Gil, anxieux, possessif, excessif, maladroit, est peintre et Irène son unique modèle. Il semble en permanence perdu avec ses enfants avec lesquels il n'arrive pas à créer de liens, qu'il aime néanmoins, qu'il violente néanmoins, toujours sur un fil, et perdu avec son épouse, qui lui échappe, qu'il ne comprend pas, qu'il ne possède que dans sa seule peinture et qu'il espère toujours, dans un déni affolant, retrouver dans le paradis intact, démilitarisé, qui existerait entre leurs deux murs.
Leurs enfants : Florian, Riel, Stoney, beaux, fragiles, angoissés, en fuite, dans l'intelligence, l'organisation de la survie ou le dessin, pris au piège de la défaillance de leurs parents, de leur abandon et de leur maltraitance.
Deux mois de la vie d'une famille à bout de souffle.
Le traitement du livre m'a, quant à lui, glacée et mise mal à l'aise de bout en bout.
Le petit jeu d'Irène autour de son journal intime devient, au fil des pages, nauséabond. Rien ne semble plus l'arrêter dans sa volonté de détruire Gil, de le laminer, de saboter - mensonges après mensonges - toutes ses assises affectives. le même Gil qui ne cesse d'avoir le mauvais rôle ... pour son épouse, pour ses enfants, pour la thérapeute.
A ce petit jeu là, nul ne pouvait gagner.
Un ouvrage perturbant où le lecteur lui-même, voyeur d'une famille à la dérive, finit par se sentir le jouet ou le complice des manipulations d'Irène.