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sur 908 notes
« J'ai toujours eu envie d'écrire des livres dont il me soit ensuite impossible de parler, qui rendent le regard des autres insoutenable. Mais quelle honte pourrait m'apporter l'écriture d'un livre qui serait à la hauteur de ce que j'ai éprouvé dans ma douzième année. »

Telle est la quatrième de couverture de la Honte de l'excellente Annie Ernaux, publié chez Gallimard en 1997. Deux phrases énigmatiques qui vous donnent envie d'ouvrir le livre pour savoir quelle est cette honte incroyable dont l'auteur a été saisie lorsqu'elle était jeune fille. Une forme de voyeurisme malsain que l'on ressent plus d'une fois lorsqu'on tient en main l'un des nombreux romans ou autobiographies de cet auteur très prolifique. C'est un voyeurisme que l'on sent presque voulu par Annie Ernaux, tant elle s'engage à exposer au regard du lecteur des morceaux choisis de sa vie dans toute leur nudité et dans toute leur horreur, parfaitement rendue par cette écriture blanche si caractéristique, dénuée de toute fioriture qui pourrait venir distraire les pensées du lecteur, les attirer loin du drame en train de se jouer dans les pages qui défilent sous ses yeux.

La scène est peut-être encore plus dramatique dans La Honte, car elle est racontée au tout début du récit, occupe quelques pages, puis il n'en n'est presque plus question. Annie Ernaux s'emploie à développer le contexte de ce drame après avoir narré la scène elle-même, de telle sorte que le lecteur garde toujours présente à l'esprit la tragédie familiale, et essaie de comprendre ce qui a pu se passer dans l'esprit de cette fillette de douze ans, nourrie d'une rigide instruction catholique, lorsqu'elle a vu son père tenter de tuer sa mère.

Et au-delà de la honte elle-même se pose une réflexion sur l'écriture de la honte.

"J'écris cette scène pour la première fois. Jusqu'à aujourd'hui, il me semblait impossible de le faire, même dans un journal intime. Comme une action interdite devant entraîner un châtiment. Peut-être celui de ne plus pouvoir écrire quoi que ce soit ensuite.
(Une sorte de soulagement tout à l'heure en constatant que je continuais d'écrire comme avant, qu'il n'était rien arrivé de terrible.)
[…]
Peut-être que le récit, tout récit, rend normal n'importe quel acte, y compris le plus dramatique."

Cette dernière phrase prouve bien que l'écriture permet une certaine mise à distance de la réalité. L'auteur se détache de la scène qu'il a vécue en la couchant sur le papier. Alors ce ne sont plus que des mots alignés les uns après les autres sur une feuille blanche, feuille qu'il peut déchirer s'il en ressent le besoin. Si la honte ne disparaît jamais tout à fait, elle peut en quelque sorte s'exorciser par l'écriture, qu'elle soit rendue publique ou non.

Annie Ernaux a écrit cette scène d'abord pour elle-même, avant de se rendre compte qu'elle composait quelque chose de publiable. La publication permet de partager sa douleur avec le plus grand nombre, et un fardeau se fait toujours un peu moins lourd lorsqu'il est porté par plusieurs épaules.

Malgré tout, le lecteur ne se sent pas écrasé par cette honte qui lui est racontée par l'intermédiaire de ces quelques pages d'écriture, mais se trouve engagé dans une réflexion sur ses propres hontes et la manière dont elles infusent sa vie.
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Traquer chaque détail d'une réalité qui fût. La ville d'Y. la décrire socialement, son architecture, capter des faits, des conduites, des mentalités, reconstruire le passé. Il semble que rien ne ressorte des descriptions cliniques, seules celles qui ont provoqué des sentiments à la petite fille qu'Annie Ernaux était. Peur, honte, mais pas colère, insoumission, les règles sociales fonctionnent comme une camisole, ou un corset. Une telle société semble peupler de fous : au regard d'aujourd'hui. On ne peut s'extraire des relations : tout le monde connaît tout le monde, il y a obligation de se saluer, d'échanger, la politesse est une colonne vertébrale qui tient la société. Pourtant il y a des meurtres, des crimes comme le rapporte le journal régional. La société ne semble pas moins violente, par contre on déifie l'autorité. Chacun a sa place, et doit y rester. On se croirait dans un autre pays, mais pas un pays actuel, un peu la Corée du Nord, qui est anachronique et dément. le livre est écrit sans colère, les passages ne semblent pas être le fruit d'un choix délibéré d'une subjectivité qui voudrait arriver à ses fins. C'est un grand livre. Un saut dans le temps. « Notre mémoire est hors de nous dans un souffle pluvieux de temps, l'odeur de la première flambée d'automne….Des choses de la nature qui rassurent, par leur retour, sur la permanence de la personne. A moi…la mémoire n'apporte aucune preuve de ma permanence ou de mon identité. Elle me fait sentir et me confirme ma fragmentation, et mon historicité. » Je ne sais pas trop quoi dire de cet extrait, mais je crois qu'il contient des clés : elle ne s'identifie pas malgré qu'elle puisse raconter un récit détaillé de ce qu'elle était extérieurement et intérieurement. Mais fragmenter c'est-à-dire en rupture elle l'est sans cesse, et au niveau de l'historicité, c'est comme être le témoin d'une époque, mais l'histoire est elle un fleuve qui coule ou une succession de rupture ?
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Dans ce court récit poignant, l'auteur nous raconte comment un beau jour de juin 1952 (le 15 juin exactement), son père a failli tuer sa mère. Elle allait avoir douze ans et a été marquée à jamais par la scène terrible à laquelle elle a assisté. Elle ne sera plus jamais la même ensuite.
Pendant toutes ces années jusqu'en 1997, date de sortie du livre elle s'est interdit d'en parler, même dans son journal intime. Mais depuis qu'elle l'a fait, elle ressent une sorte de soulagement comme si le fait d'en avoir parlé rendait l'événement banal. "Peut-être que le récit, tout récit, rend normal n'importe quel acte, y compris le plus dramatique", se demande-t-elle.
Elle se rend compte qu'au fil des ans, seule l'atmosphère de ce moment reste, elle n'a plus du tout les détails en tête sauf le déroulement de la journée avant et après.
Une scène improbable car ces parents étaient aimants et l'aimaient...mais c'est comme si son père avait ce jour-là disjoncté.
A travers les souvenirs des cette année-là, des photos (comme celle où elle est en communiante, celle prise lors d'un voyage avec son père vers Lourdes...), différents objets conservés comme des cartes postales, une trousse...elle tente de comprendre.
Elle va aller fouiller dans les archives pour consulter les faits divers de cette année-là, avant et après, elle va rassembler ses souvenirs qui lui reste du quartier qu'elle n'avait jamais quitté, de l'école privée où elle était scolarisée, listant ce qui était autorisé ou interdit à l'époque, la liste de ce qui était bien vu et mal vu à l'école privée, en ce qui concerne les lectures, les vêtements (la fameuse ceinture noire qui était à la mode et qu'elle n'aura pas le droit de porter car trop féminine), les mots, les films, les attitudes.
Peu à peu, elle nous explique pourquoi elle a commencé à ressentir à cet âge de la honte, un sentiment qui ne l'a plus quitté pendant des années.
La différence de classe est une violence. Il ne faut pas l'oublier.

D'une manière concise et très imagée, Annie Ernaux retrace dans ce récit autobiographique, sa vie avant et après cet événement marquant qui n'aurait pas du avoir lieu. Elle nous explique comment elle a appréhendé le monde ensuite, réussissant moins bien à ses examens, elle qui était brillante, et comment elle a éprouvé de la honte, se sentant seule et indigne par rapport à ses camarades.
Elle montre comment elle n'a pu ensuite que rêver d'un ailleurs plus beau où elle pourrait vivre autrement.
Ce que j'ai aimé, c'est qu'elle parle de cet événement au tout début du roman mais ensuite elle cherche à le relier aux événements de l'année, à la vie que ses parents ou elle-même avaient cette année-là. Elle cherche une raison rationnelle au comportement irrationnel de son père ce jour-là et à la mauvaise humeur de sa mère qui ne cessait de l'asticoter.
Le lecteur a toutes les armes pour comprendre pourquoi sa vie a basculé ce jour-là et déterminé ce qu'elle deviendrait.
Qu'il ait vécu ce sentiment de honte dans son enfance (peut-être pour des raisons différentes) ou pas, le lecteur ne peut qu'être touché par ce texte simple et direct, cette souffrance d'une jeune adolescente qui se croit seule au monde au point d'enfouir cet évènement au plus profond d'elle-même...car elle ne trouve pas d'explications rationnelles à cette scène qui a bousculé sa vie.
Ce roman est le second texte publié dans le recueil "Ecrire la vie".


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La petite Annie a 12 ans en 1952. La grande Annie raconte celle qu'elle était à l'époque. Elle raconte ce dimanche de juin pendant lequel un drame se passe au sein de son foyer. Cette scène bouleverse la jeune fille, et Annie raconte dès lors la honte, et comment ce sentiment mais aussi les événements de qon enfance ont participé à la construction de son être.
Annie Ernaux aborde ici quelque chose d'important. Elle raconte comment les traumatismes que l'on vit nous façonnent. Elle raconte l'indicible.
C'est un roman déroutant. Je me suis ennuyée devant certaines pages mais ai ressenti le besoin d'en lire d'autres à voix haute, tellement j'étais captivée.
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J'ai passé un excellent moment avec cette courte autobiographie d'Annie Ernaux. Elle nous invite à explorer ses souvenirs tels qu'elle les a vécus, à découvrir le monde dans lequel elle a grandi. Comment elle percevait le monde adulte à travers ses yeux d'enfant? Un monde qui est aussi le nôtre pour la plupart d'entres nous et qu'est-ce que je m'y suis retrouvée. Dès les premières pages, je fus troublée, j'ai eu l'impression que l'autrice racontait un pan de mon enfance.

Au travers de ses nombreux souvenirs, on ne peut que se poser la question de comment percevions-nous le monde adulte lors de notre propre enfance?







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La Honte, c'est la violence symbolique devenue corps textuel.

A travers ce livre - ce roman autofictionnel pourrait-on dire - A. Ernaux fait le récit de ses origines sociales, de sa condition de femme mais surtout de son vécu : et quel vécu ! Un dimanche matin "mon père a voulu tuer ma mère". de cet incident, surgissent quantité de souvenirs qui, de l'école catholique aux vacances à Biarritz et à l'envie d'ailleurs, vont petit à petit mettre en forme le sentiment de honte, un sentiment doublement éprouvé puisque l'écriture, la littérature lui rappellent à chaque instant la condition ouvrière dans laquelle elle est née, condition aux antipodes de l'écrivain bourgeois, socialement favorisé et consacré. Dès lors, le sentiment de honte naît de cette identité de transfuge, d'une double appartenance à des classes sociales opposées, de ce conflit intérieur, de cette antinomie. La honte accompagne chaque instant. Omniprésente et pourtant cachée sinon indicible, elle se ressent avant chaque prise de parole, avant chaque fait et geste, avant et pendant l'acte d'écrire.
Mais le livre est également un moyen pour réunir le moi de l'écrivain avec celui de l'enfance ouvrière. C'est en cherchant dans son passé, en opérant un retour que des identités antithétiques et successives peuvent se réconcilier pour ne faire qu'un : [C'est elle seulement qui fait de cette petite et de moi la même, puisque l'orgasme où je ressens le plus mon identité et la permanence de mon être...].

Malgré elle, avec La Honte, A. Ernaux devient la porte-parole de toutes celles et de tous ceux qui vivent et ressentent un sentiment exacerbé par une société qui les méprise. Elle incarne une voix, blanche et neutre, sans revendication et sans volonté partisane, montrant simplement les choses. Et pourtant, c'est cette voix puissante qui apparaît comme "un couteau". Il faut dire qu'A. Ernaux aime à employer cette image. Tranchant, découpant, dépeçant les strates de l'identité sociale et intime, l'écriture de soi, ce couteau, se meut également en une véritable arme contre un système qui met en place, légitime et normalise la honte.
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Une lecture intéressante en ce qu'elle nous amène à réfléchir sur nos souvenirs.
Une lecture troublante dans ses premières pages au cours desquelles l'auteure revient sur un évènement marquant de son enfance et essaie d'en reconstituer la vérité, la réalité car il ne lui reste que des souvenirs d'enfants.

Annie Ernaux raconte ses souvenirs d'enfance comme ils ont été vécus, expliquant comment les évènements avaient été compris à l'époque et porte également un regard d'adulte sur l'enfant qu'elle était et sa perception des choses comme s'il s'agissait de quelqu'un d'autre.

A travers cet éparpillement de souvenirs, l'auteure nous invite dans une époque, un lieu et un milieu social qu'elle analyse.
La simplicité et la sincérité avec lesquelles sont relatés les souvenirs invitent le lecteur à s'interroger sur ses propres souvenirs, sur la perception du monde qu'il avait étant enfant et sur le rôle qu'ils peuvent jouer dans sa construction personnelle.

Plus qu'un récit autobiographiques, ce livre est le témoignage d'une époque et une invitation à explorer ses souvenirs pour découvrir ce qu'ils révèlent du monde dans lequel nous avons grandi.
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9❤/10

Ce fut une lecture remplie d'émotion. Annie Ernaux a une plume légère et épurée. Son écriture a été très critiquée pour son « manque de style ». Cependant, il s'agit d'un choix personnel qu'elle a pris dès son premier livre. En effet, elle a déclaré : « j'écris pour que mon père puisse me lire », elle effectue alors un grand travail de reformulation et d'épuration.

On sent, comme elle le dit elle-même, que ce livre a été libérateur. En effet, Annie Ernaux a ressenti la honte durant son enfance et l'a toujours tu. À travers ce roman elle exprime la honte de sa classe sociale, de ses parents pas assez « durs » pour l'époque.

Le roman débute, un peu à la Camus, par la phrase : « Mon père a voulu tuer ma mère un dimanche de juin, au début de l'après-midi. ». Par la suite, l'autrice consacre son roman aux conséquences de cette rupture et à comprendre pourquoi elle a ressenti la honte. En effet, ce jour de juin 1952 montre la fin de son innocence et son entrée dans la honte. Les répercussions ont lieu notamment dans son école privée catholique où elle n'arrive plus à se concentrer, où elle s'indigne contre les films et livres interdits, ou encore où elle commence à ressentir la honte de son corps.

Un autre aspect de ce roman est l'analyse topographique, sociologique, linguistique, de sa petite ville d' »Y. » qui se remet difficilement et lentement de la guerre et des bombardements. Ainsi, on ressent une grande méfiance entre les différentes classes sociales. En effet, « tout le monde surveille tout le monde », le contrôle social est encadré par une morale collective et une forte pression sociale. Cet environnement n'est pas propice à extériorisation de la honte. Annie Ernaux va alors la garder en elle jusqu'à l'âge adulte.

Un des points négatifs que j'ai relevé est que ce roman est décousu et il est parfois difficile de continuer à s'attacher aux personnages. Cependant, ce n'est pas la visée de l'écrivaine, elle cherche plutôt l'exposition de faits vécus dans son enfance pour tenter de comprendre d'où vient ce fort sentiment de honte. Son but est davantage de livrer un récit intime qui pourrait avoir un intérêt général. En effet, il me semble que le lecteur pourrait comprendre des choses de lui en lisant La honte. C'est un roman qui cherche à faire réfléchir et montrer qu'on n'est pas seul dans la honte, ou plus fortement, qui nous incite à nous aussi nous délivrer de nos anciennes hontes enfouies…

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Je n'avais jamais lu l'auteure et je ressors assez mitigée de ma lecture 😕.


Le récit commence fort: «  mon père a voulu tuer ma mère, un dimanche de juin, au début de l'après-midi ». J'attendais donc une tout autre histoire dans laquelle on m'a plongé. ◾️
En effet, l'auteure en un peu moins de 150 pages, utilise cette date fatidique de juin 1952 comme « prétexte » pour nous narrer la vie des années 50. Raconté tel un journal intime, Annie Ernaux renoue avec les souvenirs de ses 12 ans. Ses parents tenant un café-épicerie. Une mère très croyante voulant gommer son origine sociale. Hypocrisie et faux-semblants . Être des gens comme il faut, respectables. Importance de la réputation et du qu'en dira-t-on. Dans cette société d'après-guerre la honte est partout ! ◾️
Ce que je déplore, c'est qu'à aucun moment l'auteure ne cherche à comprendre le geste de son père alors qu'elle restera toujours « aux aguets » qu'un tel acte se reproduise...
◾️
Cependant , je ne suis pas restée insensible à la plume de l'auteure et retenterai sans doute l'expérience 😊
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Dans ce roman l'auteur raconte une partie de son enfance au pays De Caux dans un milieu modeste d'où toute culture est absente. Elle décrit par le menu tout ce qui est advenu au cours de cette année 1956 recréant ainsi avec une grande justesse l'ambiance de cette époque. Elle relate sa soif de lecture, de culture opposée à l'étroitesse de son quotidien. Élève brillante et intelligente elle ressent avec acuité toute la pauvreté dans laquelle baigne son milieu et qui lui inspire ce sentiment de honte diffuse mais tenace. Ce livre très court est très intéressant.
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Le 15 mars 1952
Le 15 avril 1952
Le 15 mai 1952
Le 15 juin 1952

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