Dans ce court récit poignant, l'auteur nous raconte comment un beau jour de juin 1952 (le 15 juin exactement), son père a failli tuer sa mère. Elle allait avoir douze ans et a été marquée à jamais par la scène terrible à laquelle elle a assisté. Elle ne sera plus jamais la même ensuite.
Pendant toutes ces années jusqu'en 1997, date de sortie du livre elle s'est interdit d'en parler, même dans son journal intime. Mais depuis qu'elle l'a fait, elle ressent une sorte de soulagement comme si le fait d'en avoir parlé rendait
l'événement banal. "Peut-être que le récit, tout récit, rend normal n'importe quel acte, y compris le plus dramatique", se demande-t-elle.
Elle se rend compte qu'au fil des ans, seule l'atmosphère de ce moment reste, elle n'a plus du tout les détails en tête sauf le déroulement de la journée avant et après.
Une scène improbable car ces parents étaient aimants et l'aimaient...mais c'est comme si son père avait ce jour-là disjoncté.
A travers les souvenirs des cette année-là, des photos (comme celle où elle est en communiante, celle prise lors d'un voyage avec son père vers Lourdes...), différents objets conservés comme des cartes postales, une trousse...elle tente de comprendre.
Elle va aller fouiller dans les archives pour consulter les faits divers de cette année-là, avant et après, elle va rassembler ses souvenirs qui lui reste du quartier qu'elle n'avait jamais quitté, de l'école privée où elle était scolarisée, listant ce qui était autorisé ou interdit à l'époque, la liste de ce qui était bien vu et mal vu à l'école privée, en ce qui concerne les lectures, les vêtements (la fameuse ceinture noire qui était à la mode et qu'elle n'aura pas le droit de porter car trop féminine), les mots, les films, les attitudes.
Peu à peu, elle nous explique pourquoi elle a commencé à ressentir à cet âge de
la honte, un sentiment qui ne l'a plus quitté pendant des années.
La différence de classe est une violence. Il ne faut pas l'oublier.
D'une manière concise et très imagée,
Annie Ernaux retrace dans ce récit autobiographique, sa vie avant et après cet événement marquant qui n'aurait pas du avoir lieu. Elle nous explique comment elle a appréhendé le monde ensuite, réussissant moins bien à ses examens, elle qui était brillante, et comment elle a éprouvé de
la honte, se sentant seule et indigne par rapport à ses camarades.
Elle montre comment elle n'a pu ensuite que rêver d'un ailleurs plus beau où elle pourrait vivre autrement.
Ce que j'ai aimé, c'est qu'elle parle de cet événement au tout début du roman mais ensuite elle cherche à le relier aux événements de l'année, à la vie que ses parents ou elle-même avaient cette année-là. Elle cherche une raison rationnelle au comportement irrationnel de son père ce jour-là et à la mauvaise humeur de sa mère qui ne cessait de l'asticoter.
Le lecteur a toutes les armes pour comprendre pourquoi sa vie a basculé ce jour-là et déterminé ce qu'elle deviendrait.
Qu'il ait vécu ce sentiment de honte dans son enfance (peut-être pour des raisons différentes) ou pas, le lecteur ne peut qu'être touché par ce texte simple et direct, cette souffrance d'une jeune adolescente qui se croit seule au monde au point d'enfouir cet évènement au plus profond d'elle-même...car elle ne trouve pas d'explications rationnelles à cette scène qui a bousculé sa vie.
Ce roman est le second texte publié dans le recueil "Ecrire la vie".
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