🖤 « En écrivant, je dois parfois résister au lyrisme de la colère ou de la douleur. Je ne veux pas faire dans ce texte ce que je n'ai pas fait dans la vie à ce moment-là, ou si peu, crier et pleurer. Seulement rester au plus près de la sensation d'un cours étale du malheur. »
(P. 95)
🖤 En 1999, la narratrice se rend dans un cabinet médical pour un dépistage. Dans la salle d'attente, son angoisse croît, elle observe autour d'elle les patients qui, comme elle, attendent leur tour, le verdict, cette fin d'après-midi marquera-t-elle le début d'une autre histoire ou un simple moment de doute dans une vie qui s'écoule paisiblement ? Alors qu'arrive enfin son tour et le moment de rejoindre enfin (hélas ?) le médecin, un sourire sur les lèvres de ce dernier efface à jamais la peur : c'est négatif. Cette attente et cette angoisse intimes ont suffi pour replonger la narratrice dans un drame vécu trente ans auparavant, en 1963, alors qu'elle n'était encore qu'une jeune étudiante…
🖤 le souvenir de cette année est encore intact, les notes prises à l'époque aidant. Il y a les souvenirs et les sensations. Alors étudiante de lettres, la narratrice tombe enceinte. Nous sommes en 1963, l'avortement n'est encore pas légal. Seule face à un destin qu'elle ne souhaite pas embrasser et qu'elle cache à ses parents, elle se retrouve jugée par ses amis, jugée par le corps médical, aidée seulement par des connaissances dont elle ne soupçonnait pas le bienveillance. Course contre la montre, elle trouve un jour une faiseuse d'anges, qui agit dans l'illégalité la plus totale, qui exige 400 Francs et le silence en retour. Ses instruments ? Une bassine, un linge et une sonde. Et l'espoir pour des jeunes filles que le cauchemar prenne fin. Une nuit, celui de la narratrice cessera enfin de la tourmenter : une nuit de mort et de vie, une nuit de souffrance et de hurlements, une nuit de délivrance pour elle, de condamnation pour certains de ses pairs.
🖤 Oh comme j'aime l'écriture d'
Annie Ernaux quand elle se livre entièrement, sans détours, faisant voeu d'une honnêteté et d'une franchises inébranlables. En 2000, lorsque ce récit parut, l'avortement était légal, plus rien du récit de l'autrice n'était d'actualité, à part peut-être les jugements de ceux qui pensent pour les autres, qui savent mieux, qui feraient mieux, qui auraient pris leurs précautions. Aucun jugement sur l'avortement de ma part, là n'est pas le sujet. Je constate simplement amèrement que si la loi a évolué, les mentalités nous emmurent dans un archaïsme édifiant, que seuls ces témoignages peuvent faire tomber.