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Du fond de ses tripes, l'auteure exhume l'événement. Un avortement pratiqué en 1963, clandestinement donc.
D'emblée, je suis saisie par la détresse morale et la solitude absolue de cette jeune étudiante.
3 mois durant, sa vie est aliénée, elle ne s'appartient plus, tout la ramène à cette pierre au creux du ventre.
Ce roman est un violent coup de poing. Un texte cru, nu, courageux. Je l'ai lu sans plaisir, il fait mal, un mal nécessaire.
Nombre d'entre nous, les femmes, avons affronté cette épreuve qui, même aujourd'hui, n'a rien d'une simple formalité.
Un avortement est un choix et un acte difficile, angoissant, culpabilisant et intrusif.
Quand j'entends vociférer les militants anti avortement, j'ai les poils qui se dressent sur les bras.
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Voilà encore une fois un roman largement autobiographique, qui nous parle de l'avortement dont c'est cette fois le thème principal, un sujet qui a été déjà abordé dans "Les armoires vides" dont je vous ai parlé ICI. C'est un témoignage choc, un livre coup de poing, très court, puisque 130 pages à peine, mais d'une densité rare.
Il fait un constat réaliste de la condition féminine dans les années 60. Il aura fallu du temps à l'auteur, entre 1963, date de l'évènement et l'écriture de son livre en 1999, sorti en 2000, pour qu'elle puisse mettre des mots sur son vécu. Elle a écrit ce livre à partir des réflexions et des phrases qu'elle avait écrites dans son journal de l'époque. Elle fait donc des parallèles avec la fin des années 90, l'actualité du moment.
L'auteur nous raconte tous les détails de sa vie quotidienne du moment où elle comprend qu'elle est enceinte et en a la confirmation suite à sa visite chez un médecin, jusqu'au moment où elle sera libérée de ce foetus dont elle ne voulait pas.
C'est à l'occasion d'un simple examen médical angoissant qu'elle va revivre ce qu'elle a vécu trente ans auparavant, un événement marquant inoubliable.
Alors qu'elle cache sa grossesse à ses proches, mais se confie à des amis, qui lui font la morale, elle se trouve dans une grande solitude tout en cherchant désespérément une faiseuse d'anges. Elle va finir par être aidée par une jeune femme qui est passée par-là avant elle et va lui donner une adresse. Tout se faisait en ce temps-là dans l'illégalité et les médecins étaient les premiers à avoir peur, un d'entre eux lui prescrit tout de même un traitement pour qu'elle évite la septicémie mais il n'évitera pas certaines des conséquences de son acte...
Le récit est bref, raconté avec simplicité et parfois avec un langage cru. le lecteur ne peut se protéger de la violence des propos, il prend toute la mesure de la violence contenue dans les réflexions des hommes de l'époque, y compris dans le milieu médical, mais aussi celle du géniteur qui, lui est bien trop occupé, a autre chose de plus important à faire que de l'aider...
Pourtant, l'auteur ne donne pas de leçon tout comme elle ne cherche pas à attirer la compassion, elle témoigne tout simplement, avec une grande honnêteté de ce qu'elle a eu à vivre comme d'autres femmes avant elle et après elle, jusqu'à la loi Veil.
Je crois que ce qui m'a finalement le plus choquée dans ce roman autobiographique, ce sont les propos du médecin, qui avoue que s'il avait su qu'elle était étudiante (et sous-entendu, pas une fille paumée d'un quartier populaire) il l'aurait traitée autrement. Tous ont peur de la loi et des conséquences sur leur carrière s'ils étaient surpris à l'aider. J'ai été également choquée par l'attitude d'un de ses prétendus amis qui sachant cela, la violente, comme si elle avait besoin de ça (après tout elle avait déjà couché donc elle était disponible pour lui !)
Quoi qu'il en soit, si l'évènement a été pour elle une découverte douloureuse de sa féminité, il est pour nous, lecteurs et lectrices, le reflet de la société bien pensante de l'époque, des tabous autour du sexe (elle n'avait pourtant pas fait ce bébé toute seule !), des préjugés de classe qui ont malheureusement toujours cours aujourd'hui dans bon nombre de pays.
Il casse aussi la croyance du "c'était mieux avant" et nous permet de nous rappeler que l'insouciance était loin d'être au rendez-vous pour cette génération-là. du chemin a été accompli par les femmes depuis, et le droit à disposer de leur corps doit coûte que coûte être un droit à conserver comme un des acquis majeurs de la fin du XXe siècle. Il faut refuser qu'il en soit autrement.
Ce roman est classé parmi les 25 livres féministes qu'il faut avoir lu par le Quotidien Suisse, "le Temps". Il a été adapté au cinéma en 2021 et a remporté le Lion d'or à la 78e édition de la Mostra de Venise.
Peut-être l'avez-vous vu ?
Dans le recueil Ecrire la vie, ce roman fait suite à "la Honte". A suivre donc, puisque je continuerai à vous présenter les oeuvres d'Annie Ernaux dans l'ordre chronologique du recueil.
Vous pouvez aller lire, pour en savoir plus, l'entretien de l'auteur sur le site de Gallimard, suite à la parution de son livre en 2000...
Lien : https://www.bulledemanou.com..
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Un récit honnête et glaçant comme seule Annie Ernaux est capable. On comprend vraiment ce que cela signifiait d'avorter, le stigme que ce geste rapportait ; le tabou est tellement vif que même les mots ont du mal à sortir. Aujourd'hui plus que jamais ce texte est nécessaire, si douloureux, et je suis reconnaissante à l'autrice de l'avoir écrit.
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J'enchaîne les coups de coeur mais ce petit livre m'a profondément touché.

L'événement racontée par Annie Ernaux est d'une justesse terrible. Une écriture aride, des mots forts sans aucun passage superflu. J'ai été autant émerveillée que troublée par son « témoignage ».

Ce n'est pas dans mes habitudes - même au contraire - mais j'ai couru chercher un fluo et je me suis mise à surligner tout ce qui résonnait en moi dans le texte.

J'aimerais d'ailleurs vraiment pouvoir décrire l'admiration et la peine que m'a fait ressentir ce court livre. Mais aucun mot n'est assez fort pour le courage de cette femme - de CES femmeS - d'avoir eu à endurer cet événement dans les années 60.

Brillamment racontée et des phrases toutes aussi belles et résonnantes les unes que les autres.
L'événement fait référence à un avortement suite à une grossesse non désirée dans les années 60 - plus précisément en 1963. Annie Ernaux raconte sans enjoliver ce qu'elle a vécu. La difficulté pour une femme d'avorter et surtout l'isolement que la grossesse non désirée engendre. Ainsi que le manque d'empathie, la cruauté et l'incompréhension face à une femme qui souhaite « enfreindre la loi ».

C'est un très beau texte que je relirais à coup sûr.
Je ne m'étais jamais intéressée à cette femme, ni à ces textes jugeant son écriture universitaire. Je suis contente de ne pas être restée sur cette idée - à l'évidence fausse.
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28 décembre 1967 vote de la loi Neuwirth sur la contraception,
17 janvier 1975 loi Veil légalisant l'avortement.
Pourquoi rappeler ces deux textes ? Pour mieux comprendre le livre d'Annie Ernaux.

Au début des années 1960, quelques années avant la légalisation de la contraception Annie Ernaux, étudiante en Lettres modernes se retrouve enceinte.
Elle ne souhaite pas garder l'enfant, le père ne se sent pas concerné, alors comment faire disparaître "cette chose là"?
Pour une étudiante sans relation et d'origine modeste, compte tenu des risques sur le plan pénal, une seule solution trouver une "faiseuse d'ange".

Annie Ernaux raconte son parcours, peu d'aide auprès de ses relations, trouver la faiseuse d'ange, trouver l'argent pour la payer, et subir l'intervention clandestine, ses conséquences dramatiques et douloureuses, et la culpabilisation à l'hôpital.

Conclusion d'Annie Ernaux : "Car par-delà touts les raisons sociales et psychologiques que je peux éprouver à ce que j'ai vécu, il en est un dont je suis sûre plus que tout : les choses me sont arrivées pour que j'en rende compte".
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Je n'avais encore jamais lu Annie Ernaux, j'ai décidé de commencer par celui-là. J'ai été émerveillé par l'écriture de cette autrice, c'est simple sans fioriture mais tellement agréable à lire. Un sujet extrêmement délicat qui mérite que l'on en parle. Et surtout un livre qui nous plonge dans la difficulté que représentait ce genre de situation à l'époque de la jeunesse de l'autrice.
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Juste mon ressenti en quelques mots : bouleversant, indispensable lecture en ces temps de régression quant au droit des femmes à disposer de leur corps. Un immense respect pour cette femme, son engagement, son travail d'écriture. Je vais poursuivre ma lecture de l'oeuvre d'Annie Ernaux, après La Place et L'Ecriture comme un couteau. J'ai simplement apprécié les critiques et citations d'autres lecteurs car je trouve difficile d'écrire une chronique de cette lecture. Marquée par la petite phrase « je ne suis pas le plombier ! » lors de la prise en charge « punitive » à l'hôpital, petite phrase, immense déflagration.
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Me revoilà à lire un roman d'Annie Ernaux, le deuxième après Mémoire de femme, acheté, il y a quelques jours, le titre, l'auteur, la quatrième de couverture ont su éveiller en moi une vive curiosité, ce matin la première de couverture jonché sur le bord du canapé a su capter mon regard, puis magnétique, ma main pris ce roman, l'ouvrit, la lecture débute sans pouvoir faire une pause pour le dévorer d'une seule traite, en apnée tout le long, je respire enfin, L'événement vient de se diffuser en moi, les mots ont dans l'écriture d'Annie Ernaux une réalité froide si réaliste avec un détachement lucide et surtout une force certaine venant vous emprisonner et vous étourdir. J'aime beaucoup la prose de cette auteure française, sa façon d'écrire me trouble dans sa simplicité et sa clairvoyance, l'émotion est là palpable et fuyante, déjà dans Mémoire de femme, son regard de femme était lucide sur celle, adolescente qu'elle fût, et de sa perte de virginité, elle ne se reconnait pas, le temps efface le soi pour un autre, L'événement retrace son acte d'avortement qu'elle relate sans pudeur, laissant les protagonistes dans l'anonymat, leurs prénoms associés à une lettre majuscule, les laissant au loin dans le passé, pour ne pas les déranger, les figer dans l'écriture d'une histoire qu'ils ont vécue sans être là au moment de la coucher sur la page blanche, juste par leur rôle.

J'ai lu, il y a quelques années, Dix-sept ans de Colombe Schneck, sur son avortement et ce manque, les circonstances n'était pas les mêmes, comme la manière de ressentir la situation, Annie Ernaux perce au plus profond l'acte, la souffrance physique, il y a une chronologie de la grossesse à l'acte, avec tous les détails, s'aidant de son journal intime. Ce roman s'articule entre ces deux périodes, celle du récit lors de l'année 1963 et 1999, celle de l'écriture du roman, un va-et-vient s'entremêle laissant Annie Ernaux dans une dualité intime, découvrant ce présent et ce passé s'ouvrir l'un à l'autre.

Le roman s'ouvre par deux citations qui résument parfaitement l'état d'esprit de notre auteure, l'une de Michel Leiris, « Mon double voeu : que l'événement devienne écrit. Et que l'écrit soit événement. », l'autre de Yûko Tsushima, « Qui sait si la mémoire ne consiste pas à regarder les choses jusqu'au bout. », le titre L'événement résume son acte d'avorter et le roman en soi, associé et dissocié, l'un est une part de vie vécue et l'autre l'écriture qui le fait revivre en profondeur à l'infini.
Tout commence dans une salle d'attente de dépistage du sida, Annie Ernaux n'oublie pas la similitude avec celle du médecin lui annonçant sa grossesse, l'attente était identique « dans la même horreur et la même incrédulité. » le 8 novembre 1963 sonne « l'horreur », c'est ce qu'elle notera dans son carnet juste après « je suis enceinte » où le refrain absurde du médecin D, lui revient, une phrase « affreuse », « les enfants de l'amour sont les plus beaux », d'ailleurs tout le long de son parcourt, le corps médical aura des discours fort surprenant, à la limite du raisonnable, comme le médecin de garde la culpabilisant, « Pourquoi as-tu fait ça ? Comment as-tu fait ça, réponds ! », « Regarde-moi ! Jure-moi que tu ne le feras plus ! Jamais ! », et l'interne lors de son curetage lui assène cette phrase insolite « Je ne suis pas le plombier ! », et aussi la tromperie du docteur D, lui donnant des piqures anti-fausse couche, prétendant un traitement pour lui faire revenir ses règles, et le docteur N par téléphone lui conseillant du Masogynestril, sans vouloir la revoir et la voir, sachant qu'il faut une ordonnance pour l'avoir, la jeune fille de 63, sondée pour se faire avorter aura une humiliation de plus lorsque dans la pharmacie demandant ce médicament ordonnancé, il ne faut pas oublier qu'à cette époque, l'avortement est interdit, le regard des autres était lourds, comme pour les jeunes filles mères, le mépris est de rigueur, Annie le ressent à l'hôpital et écrit « La fille avortée et la fille mère des quartiers pauvres de Rouen étaient logées à la même enseigne. Peut-être avait-on plus de mépris pour elle que pour moi », ce passé semble être lointain, Simone Weil avec sa loi de l'avortement a su libérer la femme et laisser Annie Ernaux avec cet événement, car ce mot n'avait pas de place dans le langage de l'époque.

Le mouvement entre l'écriture et l'année 63 est un passage entre deux époques opposées qui s'unissent par des faits, comme la fuite des réfugiés kosovars vers l'Angleterre à Calais, comparant les passeurs aux faiseuses d'anges (les avorteuses), son carnet intime lui permet de bien poser les mots pour écrire son roman L'événement. Entendre une musique comme La javanaise, J'ai la mémoire qui flanche, la bouleverse, lui laissant des effluves du passé, tandis que Dominique nique nique de Soeur Sourire lui donna du courage, pour cette journée dans la rue Martainville, cherchant un docteur pour se faire avorter, Annie Ernaux se prendra d'affection pour Soeur Sourire, de son destin tragique, ayant cette même solitude morale, à des temps décalés, en fait notre auteure pense que son histoire se retrouve dans certains personnages qu'elle rencontre au cours de ces lectures, des artistes qu'elle écoute, des personnes de son passé, créant une chaine invisible dans sa chair.

Annie Ernaux fait un constat social des femmes de ces années soixante, où les jeunes filles enceintes célibataires sont un déshonneur pour la famille, comme celles qui avortent, le regard des hommes sur les femmes restent souvent celui du mépris, de la domination, certains abusent de la faiblesse des femmes et de leurs rôles subalternes. Cet enfant en elle lui rappelle le milieu social modeste de ces parents, sa clairvoyance intellectuel lui échappe, lui renvoyant par la force de la situation la manuelle qu'elle aurait dû être, son mémoire s'évapore, tous les concepts du sujet, les femmes dans le surréalisme, lui deviennent indicibles, comme sans solution, son génie disparait en même temps que son ventre laisse se loger un être vivant, la réduisant à une souffrance nouvelle, le corps lestant sa capacité intellectuelle vers le néant des mots. On découvre aussi par le regard de cette étudiante en lettres de 23 ans, la culture qui caresse l'époque, Sartre est présent par sa pièce Huis clos, qu'elle trouve formidable, note de son carnet intime, L'Être et le Néant, par le garçon café du Métropole qui joue son rôle du garçon de café, des films vus lors de cette période, chansons qu'elle écoute , tout cristallise cette période qui va l'emmener à L'événement.

L'écriture permet à Annie Ernaux de pouvoir avoir les émotions qu'elle n'a pas eues lors de cet événement, comme crier et pleurer, l'écriture devient la vérité des souvenirs, des choses que l'on n'oublie pas, l'écriture est cet acte de revoir, comme le dit Annie Ernaux « c'est comme si j'y étais encore ».

Tous les personnages restent anonymes comme je l'ai dit au début, le géniteur devient un P, étudiant de Bordeaux, cette étudiante L.B qui l'aida à trouver une faiseuse d'anges, Mme P.R, ils sont tous réduits à des initiales, les laissant tranquille dans leurs rôles qui furent les leurs pour L'événement, dans le livre actuel qu'elle écrit ils n'ont pas demandé d'y être, l'étudiante O qui l'aida lors de sa fausse couche, cette scène est surréaliste, lorsque coule entre ces jambes l'embryon accroché par le cordon ombilical et cette incrédulité de ne pas avoir cette connaissance de la procédure à suivre, la douleur la tenaille, le sang coule, la peur s'assaille, c'est comme une mort qui la prend dans son ventre, s'ensuit l'hôpital, le curetage et le soulagement, cet événement lui à permet de devenir une future mère !

Ce roman est assez court, il est riche par sa construction et son contenu, Annie Ernaux est une magicienne réaliste avec une prose figeant le passé dans sa profondeur d'âme et de chair, l'épuration prosaïque peint un tableau sobre où s'invite cette peinture qu'Annie Ernaux aurait voulu réaliser pour immortaliser cette scène de l'impasse Cardiner, plutôt le passage, dans cette pièce où Mme P.R lui posa la sonde, deux fois , Annie L. viendra à Paris pour subir cette opération, Atelier de la faiseuse d'anges serait ce tableau imaginé pour combler ce manque dans les musées, « une petite table adossée à un mur, couverte de formica, avec une cuvette émaillée où flotte une sonde rouge. Légèrement sur la droite, une brosse à cheveux » reste l'image qui flotte dans l'esprit de notre auteure.

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Alors que sort en salle le film d'Audrey Diwan, éponyme et adaptation du roman de Annie Ernaux « L'évènement » je me suis plongée hier dans la lecture de ses pages. Je suis loin d'avoir épuisé l'oeuvre littéraire que nous devons à l'auteure, j'ai lu voilà bien longtemps ses premiers livres puis plus récemment son roman « Les années » dont j'ai été profondément marquée. Les éditions Quarto/Gallimard viennent d'éditer un recueil de ses écrits, sous l'heureux générique de « Écrire la vie », j'y ai découvert avec bonheur, le texte de « l'Évènement » et je ressens pour l'écrivaine une profonde gratitude, tant la pertinence, la finesse d'analyse la justesse du regard, l'élégance du verbe, réussissent à tirer de ce qu'elle a vécu la matière même de ce qui lui vient des autres, du temps, du monde.
Annie Ernaux inscrit ses récits dans une époque, elle en rend compte dans une écriture sensible, à fleur de peau, qui invite au partage des émotions et de la pensée, la lire c'est pouvoir revenir vers soi, s'interroger, c'est un peu se regarder vivre.
J'irai certainement voir le film pour découvrir ce qu'un autre langage peut dire différemment du propos, mais je dois avouer mon admiration pour ce que les pages qui tissent « L'Évènement », ont de force et de lucidité.
Avorter à 23 ans en 1964, c'est un pari sur l'avenir, un pari personnel, pas loin d'une question de vie ou de mort, de liberté ou d'asservissement, dans un contexte de lâcheté collective et sociale. Ainsi peut-on rencontrer sous sa plume le regard condescendant des hommes, incapables de se départir de la morale commune pour qui « coucher » veut dire « pute », jusqu'à ce médecin au fait de la grossesse de sa patiente qui s'achète une bonne conscience en lui prescrivant de la pénicilline avant et après, en fermant les yeux sur le pendant, il s'en lave les mains n'est-ce-pas, ce n'est pas son affaire…Que dire de la Loi qui condamne, très officiellement, celle qui punit les avortées et les avorteuses, dans le même sac tout le monde, est-il même possible de s'étonner de sa rigueur dans une société de classe verrouillée de préjugés, chacun à sa place sans mobilité possible. Vouloir sortir de la classe ouvrière c'est être condamnée à en garder la marque, comme une odeur, une tâche indélébile. Tout au long de son récit ce dernier point est magnifiquement souligné par Annie Ernaux qui signe là effectivement un livre profondément politique sur le fonctionnement cloisonné de notre société des droits de l'homme.
Je recommande à tous de revenir ou de découvrir les pages d'Annie Ernaux, oui elle parle ici des années soixante mais son témoignage aide à s'interroger sur ce qu'aujourd'hui ces années d'exclusion ont laissé de traces. Cette exclusion est toujours de mise, elle a de beaux restes et elle fait des petits.
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C'est la critique d'Isacom qui m'a donné envie de lire L'événement bien que j'ai du mal à lire Annie Ernaux que je trouve trop centrée sur elle-même.
Pour la première fois, elle m'a émue, notamment la scène où elle expulse le foetus mort. Je ne vous divulgache rien puisque c'est la conséquence directe d'un avortement...
Ce texte est intéressant et important pour ne pas oublier le mépris, la haine qu'ont reçus les femmes enceintes qui voulaient mettre un terme à leur grossesse. Les médecins et l'équipe soignante ont été odieux envers cette jeune femme.
Merci à Simone Veil, Gisèle Halimi d'en avoir fait leur combat et de légaliser cette pratique.
Par ailleurs, j'ai apprécié qu'Annie Ernaux n'utilise pas le terme "tomber enceinte". Un point commun qui me fera peut-être plus aimer son style, qui sait...
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