Annie se rappelait trente ans avant, environ, cette angoisse qui l'avait tenaillée. Elle soupçonnait qu'elle était peut-être enceinte, après une courte relation de vacances. Elle sentait que son corps changeait. Ce fut une attente insoutenable de chaque jour. Après plus d'un mois d'attente, elle se décida à prendre un rends-vous avec un gynécologue. Entre temps, elle eut des vomissements et des nausées. Quand vint le jour de son rendez-vous, le verdict fut sans appel. Elle était enceinte. Elle avait 23 ans et était étudiante en littérature. Pour elle, il était impossible de garder ce bébé. Elle devait avorter coûte que coûte.
Elle appela, le père du futur bébé pour lui annoncer qu'elle allait se faire avorter. Il était étudiant, comme elle. Elle espérait qu'il éprouverait toutes les angoisses qu'elle avait vécues. Sans réaction de sa part, elle ne voulut plus le revoir.
Désormais, et bien après, lorsqu'elle voyait le mot grossesse, elle l'associa au mot : Violence, angoisse, grotesque. Il était aussi remplacé par ‘'ça'' ou ‘'cette chose-là''.
Vivre normalement n'était pas facile. Elle n'arrêtait pas de penser qu'elle était différente des autres filles. Son ventre contenait un acte illicite. Elle vivait la transformation de son corps comme un échec.
Avorter ne l'angoissait nullement, ce serait facile. Elle ferait comme les autres. Elle se confia à un médecin N qui lui prescrivit des piqûres pour en quelque sorte déclencher le cycle menstruel. Pour le médecin N, il lui était interdit de pratiquer un avortement sous peine d'une interdiction d'exercer à vie et d'une peine de prison. Donc l'avortement était interdit parce que c'était mal, ou si cela était mal parce c'était interdit. « On jugeait par rapport à la loi, on ne jugeait pas la loi ».
Elle ne trouva aucun réconfort envers ses amis et amies et n'osa pas en parler à sa famille. Elle devait donc se débrouiller seule, en secret, dans la clandestinité.
Les piqûres n'eurent aucun effet, elle devait fait appel à une ‘'faiseuse d'anges'', le plus rapidement possible, car le temps jouait contre elle. Un amie lui en conseilla une sur Paris. Peu importe le prix cette ‘'faiseuse d'anges'', celle-ci la soulagerait de ce qui encombrait sa vie.
Quand elle alla au premier rendez-vous de cette ‘'faiseuse d'anges'', elle se sentit mieux. Enfin, elle avait une solution. Avant d'y retourner, elle recontacta le médecin N pour lui dire. Mais celui-ci ne voulait pas la revoir. Il lui prescrivit de la Pénicilline, qu'elle ne put avoir sans ordonnance. Quelques jours après, elle était de nouveau chez cette ‘'faiseuse d'anges''. Avait-elle peur ? Oui, un peu, mais elle aura été jusqu'au bout de son projet. Souffrira-telle ? Elle ne le savait pas, mais sa tête sera libérée. Celle-ci lui posa une sonde. Mais trois jours plus tard, Annie dut y retourner car le foetus n'avait toujours pas été expulsé de son corps. Au deuxième acte de la ‘'faiseuse d'anges'', elle connut la douleur, les contractions, l'expulsion brutale, l'hémorragie … Ce fut une scène sans nom, la vie et la mort en même temps. Elle eut peur de mourir. Annie se retrouva à l'hôpital, alors qu'elle avait fait tout dans la clandestinité et le secret. Tout s'effondrait. Elle vécut l'humiliation des médecins et la culpabilisation. Ils avaient des mots durs qui la faisaient passer pour une fille sans cervelle. C'était en Janvier 1964.
Elle se devait d'écrire ce livre sur tout ce qu'elle avait ressenti et vécu sur son avortement, pour libérer, enfin, son esprit. Elle reprendra son agenda sur lequel tous ses sentiments, sa colère et ses peurs, étaient inscrits chaque jour, durant de longs mois. Elle gardera à jamais en elle, le visage de cette''faiseuse d'anges''et de ses instruments.
C'est un roman très dur avec une description des sentiments, des angoisses, de la douleur, de l'humiliation, de la culpabilité très crus qui reflètent la réalité des avortements illicites trente ans avant la loi de
Simone Veil.