Le voisin d'en face hait son voisin d'en face. le voisin d'en face est un voyeur qui ne cesse d'observer son voisin d'en face. Entre le 5 et le 6 de la rue de la Doulce Belette, la guerre est déclarée ! Max Corneloup et Eugène Fluche ne reculent devant rien pour mener leur guérilla : ils mobilisent leurs troupes, fourbissent leurs armes, embauchent la même femme de ménage pour espionner et déstabiliser l'autre, lancent des rumeurs, effectuent des actions de reconnaissance, minent le terrain. Comme dans les romans canoniques, ils peuvent compter sur des adjuvants et doivent se méfier des opposants. Par l'intermédiaire de leur journal, chacun prend la parole (la plume) à tour de rôle et expose son point de vue, tout en décrivant la vie quotidienne des deux immeubles et de leurs habitants, tous plus ou moins fêlés de la cafetière. Un point de vue anonyme, qui pourrait être celui de l'auteur ou tout au moins d'un narrateur omniscient, commente les faits, mais surtout recouvre toute l'histoire d'un brouillard d'incertitudes : "Prenons Eugène Pluche qui raconte ses aventures et présente ses théories, sur le "meurtre" de madame Brichon par exemple. Qu'est-ce qui prouve que tout ce qu'il dit est vrai ? Comment peut-on savoir que l'auteur d'un journal intime est sincère ?" (p.192)
Lorsque Madame Brichon, bouleversée par la disparition de son chien, meurt en sautant à l'élastique du haut du toit, la question se pose : meurtre ou suicide ? le commissaire Taneuse fait alors son entrée en scène et, au fil d'entretiens farfelus avec les témoins, semble soupçonner Corneloup. Mais voilà que d'autres morts suspectes se produisent et les cartes se brouillent toujours davantage jusqu'au double coup de théâtre final.
Manipulé, piégé, le lecteur n'a plus qu'à repartir en arrière pour chercher à quelle bifurcation il a pris le mauvais chemin des hypothèses... et à éclater de rire de s'être si bien fait avoir !
Avec sa construction au cordeau et sous la loufoquerie des personnages et de l'intrigue, le roman de
J.M. Erre nous fait entrer dans la petite fabrique de la fiction et c'est à la fois divertissant et intelligent. J'ai trouvé ce roman épatant !