Quel enfant n'a pas rêvé, avant de s'endormir, sur les motifs d'une cretonne, d'une toile de Jouy ou ceux d'un rideau, à travers l'étoffe duquel filtrait encore la lumière du jour ou déjà celle plus pâle et mystérieuse de la lune ? Quel enfant ne s'est pas raconté les aventures échevelées de ces petites figures laissées en blanc par la lumière -biches, bergères, farandoles d'enfants, sorcières grimaçantes- et n'a pas laissé vagabonder son imagination pour échapper à l'ennuyeuse corvée de dormir, quand le monde est si plein de merveilles et la journée si courte pour toutes les découvrir?
Lise et Noël ont trois bonnes raisons pour se laisser charmer par l'histoire des Trois petits enfants bleus:d'abord, les 3 petits ornent de leurs variations la toile de Jouy de leur chambre, ensuite, Lise a une imagination débordante et elle raconte presque aussi bien que leur papa, écrivain, et enfin -la troisième raison explique tout- maman et papa sont morts, et les enfants ont été recueillis à la campagne, chez une vieille tante revêche et qui leur fait un peu peur.
Alors tous les soirs, à l'heure du coucher, Lise raconte l'histoire des Trois petits enfants bleus, qui vivent dans la Maison -Chou -ils sont si minuscules que la panse lustrée du chou est un palais pour eux! - puis quand la menace se précise que la Tante Radegonde veut faire cueillir les choux de son potager, Lise et Noël les font émigrer dans la maison-Arbre..
Un livre pour enfants, certes, mais aussi un livre pour adultes : deux récits imbriqués, celui de l'imaginaire et celui de la réalité, qui souvent s'interpénètrent et ont l'un sur l'autre -comme celui de la cueillette des choux- des incidences directes. Une belle écriture, poétique et dense, qui sait évoquer la saveur rude de la vie campagnarde -nous sommes en Charente- et la tristesse du statut d'orphelins, qui sait aussi s'abandonner à l'imagination foisonnante des enfants pour mieux exorciser leurs peurs ou leur chagrin.
J'ai retrouvé ce vieux livre dans la bibliothèque de ma mère, tout recollé sur la tranche, avec des feuillets en débandade; il date de 1927 et on dirait qu'il a fait ...toutes les guerres: ma grand-mère a dû le lire à ma mère quand elle était petite, elle nous l'a lu à son tour, et je prends le relais..les Petits Enfants bleus continuent de s'échapper de leur cretonne et mènent leur sarabande entre deux séances de jeux vidéos..Leur poésie opère toujours..
Les illustrations signées de Marie Fauconnier -sans doute une sœur de Geneviève- sont des fusains noir et blanc très expressionnistes: je comprends mon goût actuel pour les fusains et les encres de Spilliaert ou de Redon...
Un joli vieux livre, un peu suranné, mais au charme toujours opérant, à l'imaginaire toujours sensible...
Peut-être, avec un peu de chance, le trouverez-vous chez un bouquiniste des quais...les Trois Petits Bleus- Lil, Lilo et Lolo, comme les appellent Lise et Noël- doivent adorer baguenauder sur les bords de la Seine....
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Jolie petite histoire......
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Lil est restée longtemps au balcon-champignon.
-La belle nuit! pense-t-elle , pourquoi ne pas accrocher nos hamacs de jonc sous les branches?
Lolo pend le sien à deux crosses de fougères.
-Elles sont trop tendres pour te supporter, petit gros, dit Lilo.
Ils ne se doutent pas , les trois tout-petits, que deux plus grands hamacs sont là dans les feuilles.
Lolo tette son pouce, Lilo sifflote doucement, Lil a dénoué ses cheveux, Noël ouvre la bouche et boit les parfums suaves, Lise tend les bras pour que l'air coule tout du long.
Pas de vent, mais un souffle doux, une respiration profonde et comme heureuse. Ah! se balancer à demi dans cette quiétude, fermer les yeux et les ouvrir encore pour revoir les étoiles et jouer à travers les feuilles avec cette grande planète flamboyante....
- Regardez, dit Lolo, ses grosses boules d’yeux dans les poils hérissés! Quel drôle de tête ! Oh ! mais qu’il est drôle !
-Presque effrayant, dit Lil. Et voyez ! Oh ! voyez il déroule une trompe ! Une trompe de papillon ! … Tu savais, toi, que les papillons ont des trompes ?…Il l’enfonce dans la fleur…
-Si je lui jetais ces berlingots de pollen, est-ce qu’il les attraperait comme l’éléphant du cirque attrapait les petits pains ? dit Lilo.
Mais Lolo ne regarde plus le papillon. Il est lui-même plongé dans le cœur sucré d’un narcisse, il lèche les bonbons de miel répandus. Et Lilo prend en main le calice d’une jacinthe, il aspire à la coupe poisseuse de sirop. Lil suce au bout des étamines en sucre d’orge le pollen, bleu comme les pastilles d’anis des galettes de Poraude.
-Des œufs sur le plat ! dit Lolo, assis au milieu des pâquerettes.
Plus comblés que Dame Tartine dans son palais de beurre frais, Lil, Lilo, Lolo sont d’emblée en plein festival de gala. Un dessert perpétuel, chaud de soleil, leur est servi par les fastes du printemps.
Sans trop savoir pourquoi, ils échouèrent près du débonnaire oncle Benoît. Ils ne comptent pas trop sur lui comme paratonnerre … Peut-être comme tampon … Et encore …
- Allons, allons, dit l’oncle plaintif, les voyant comme de pauvres bêtes traquées, et effrayé lui-même.
Tante Radegonde entre, haute, noire, l’œil en acier.
Personne, et surtout l’oncle, n’ose jamais soutenir ce regard. Mais il perce à travers les fronts, les paupières baissées. Et c’est si intolérable que l’oncle, cette fois héroïque, a un sursaut. Il lève sa main pâle et dit :
- Grâce pour eux, ma chère amie. Voyez leur regret! Il faisait si beau …
Ah ! C’est bien trouvé ! il eût mieux fait de se taire. L’orage croula d’une telle violence qu’on en subissait le fracas sans rien comprendre. Crépitant la foudre, tante Radegonde, de chaque poigne, avait saisi un enfant au col et les entrechoquait.
Les chevaux prennent de l’élan au sommet de la côte. Lise et Noël ne bougent pas, tournés vers ce qui vient, la figure au vent sur le coude replié au dossier du break. Et la campagne avance vers eux, court de chaque côté, les entoure, les enveloppe, les reprend. Les arbres approchent et passent, les prés glissent, les sillons ouvrent et
ferment de longs éventails frangés de vert. Les troncs jouent aux quatre coins dans les sous-bois où le soleil
bas fait cache-cache. La route descend, monte, redescend. Un peu d’écume bave aux croupes d’Athos et de Portos près des harnais où les cuivres lancent du soleil. Une queue se lève, des crottins tombent et roulent…
Et toujours les arbres vont et glissent les douces prairies, des blés si verts, toute la campagne d’un vert neuf et les joualles grises où cabriolent les petits ceps noirs et nus de la vigne.
Leurs petits nez froids hors des couvertures bourrues, les deux enfants s’étaient sentis emporter dans le noir d’une soirée sans lune. Au rayon mince de la lanterne apparaissaient seulement le bas des troncs et le haut de cailloux. Le trot de Coco éveillait quelques chiens aux abords des fermes, qui glapissaient longtemps dans la silencieuse nuit d’hiver.
Lise et Noël trébuchèrent hors de la voiture et clignèrent des paupières fatiguées devant la lumière que le poing d’une personne invisible brandissait au seuil de Roncenoire.