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Critique de Erik35


DU GIVRE EN RECHERCHE D'ÉCLAT.

Soyons honnête, voici une petite incursion dans un genre que nous connaissons aussi mal que nous l'apprécions généralement peu : la Fantasy.
Car sous ses dehors de roman qualifiable de post-apocalyptique, par la peinture d'ambiance dont Estelle Faye a élégamment revêtu d'oripeaux un Paris digne d'un monstrueux lendemain de cuite éco-destructrice et qui n'est plus que l'ombre de ce qu'il est aujourd'hui, nombre de ressorts narratifs et descriptifs s'apparentent moins à un Mad Max francilien qu'à une espèce Niourk en devenir, Niourk, ce si beau roman de Stefan Wulf.

Projetons-nous loin vers notre futur, aux alentours des années 2360. Nous allons ainsi suivre Chet, un jeune homme ambigu, ambivalent, queer dirait-on aujourd'hui, effrontément bisexuel, incapable de se fixer sur le moindre amant, la moindre maîtresse, mais amoureux impénitant d'une jeune femme, Tess, qui ne sait rien des sentiments de son ami d'enfance. Chet est une diva dégingandée mais sans peur des clubs noctambules et bluesy dès que la nuit tombe, rendant toutes sortes de services plus ou moins légaux, le jour.
Chet, c'est pour l'hommage au Daniel Chetman du film "Rue barbare", mettant en scène, dans une veine très esthétisante, la violence des banlieues du début des années 80 ; incidemment, sans doute, est-ce aussi un hommage au jeune - beau -et talentueux Bernard Giraudeau, dont ce fut l'un des grands rôles, plus qu'en l'honneur du jazzman, trompettiste génial et chanteur de talent que fut Chet Baker (son "Almost Blue" est un must absolu de ce jazzman au lyrisme délicat et fragile). C'est en tout cas ce que nous affirme le narrateur omniscient (lorsque ce n'est pas Chet lui-même qui s'exprime), et nous sommes bien forcés de le croire, même si ce personnage équivoque tient au moins autant du beau gosse pommé mais bon Samaritain de "Rue Barbare" que de la gueule d'ange cocaïnomane, géniale et instable des bas fonds et des clubs de jazz interlopes. Les références sont cependant de premier ordre... Et ce ne sont pas les seules.

Toujours plus ou moins à court d'argent pour régler le loyer de son studio à son proprio, un pharmacien maniaque de propreté dans un monde de plus en plus sale et peu ragoutant, Chet va se retrouver mêlé à la recherche d'un trafiquant de drogue, un certain Echo, agissant pour le compte d'un étrange maître es-complot. Mais ce qui ne devait d'abord être qu'une chasse à l'homme emprunte de moult dangers et autres coup de force va s'avérer devenir une véritable quête, des derniers cercles de l'Enfer à un éventuel Eden dominé par un hybride, un genre de Roi-Mutant, un véritable Lucifer - comme son prédécesseur biblique, il porte des moignons d'ailes ; comme celui des textes, il est le porteur de lumière, mais d'une lumière intenable et maudite, dont la vérité finale est dans la soumission totale et l'oubli de tout.

Dante et son chef d'oeuvre, La Divine Comédie sont, on l'aura compris, convoqués à cette fête médiévo-futuriste. On y retrouvera même un avatar de son Virgile, tout aussi poète que le plus célèbre des auteurs latins, mais sans doute bien plus fou et éthéré, beau comme un jeune pâtre grec, qui aura été jadis l'accompagnateur de Chet au sein de cet enfer de maniaques cliniciens dézingués, et jusqu'à sa fuite... Mais pas la seconde fois dans cet antre des démons... Quant à la fameuse Béatrice du texte du florentin, si la Tess de ces années futures en est proche, ce n'est pas dans ces bas-fonds sordides et mortifères que notre aventurier va la retrouver.

Le purgatoire n'est pas oublié, où s'entremêlent une vision d'un Paris du dessous se référant autant aux lumières crues qu'à la violence souterraine de ce grand roman feuilleton du XIXème siècle, Les Mystères de Paris, du trop oublié Eugène Sue qu'à la fuite si connue de Jean Valjean à travers la puanteurs morbide des égouts dans Les Misérables de Victor Hugo. Victor Hugo que l'on retrouve ailleurs, sur cette Île de la Cité et surtout sa grandiose Cathédrale Notre-Dame tant décrite, atmosphère comprise, dans le fameux Notre-Dame de Paris, avec son lot de Gitans, d'"Egyptiens", de coupe-jarrets et autres tranche-bourses. Et de son Roi des Gypsies, bien entendu.

Cependant, Chet, qui n'en peut plus mais, se trouve accompagné d'une incarnation post-chaos de l'archétype absolu du chevalier parfait, celui qui, dans le cycle breton, est le seul à atteindre et regarder dans le Saint Graal : Galaad, le chevalier pur, absolument. Sauf qu'ici, sa pureté va en prendre un sacré coup - merci Chet et son désir permanent de séduction - d'où son absence relative dans les derniers moments de cette quête. Si Galaad se met à planter l'affaire comme son père Lancelot, où va-t-on ?

On croise aussi un "Sorbon", sorte de lointain descendant de nos actuels sorbonnards. Mais comme si l'apocope était cause qu'une partie du savoir de notre monde avait disparu, Paul, le Sorbon est certes savant mais les destructions des deux siècles passés ont laissé d'immense failles dans les connaissances de ces temps à venir. On rencontre une fillette aux pouvoirs très spéciaux, la demi-soeurette de Tess, prénommée Sybil, aux pouvoirs "psioniques" inquiétants, même s'ils sont a priori dédié au bien, tant ils sont démesurés. Elle est accessoirement cheffe du gang des enfants Psy qui contrôlent les tours de ce qui est désormais appelé "Stonehenge" dans lequel ont pourra aisément reconnaître les tours de la bibliothèque et de l'esplanade François Mitterrand.



Ainsi, les références sont innombrables à la littérature classique, aux contes, à la Mythologie (je passe rapidement sur l'aspect Odyssée de l'aventure de Chet, Ulysse d'un nouveau genre ayant perdu son Télémaque/Virgile et cherchant sa Pénélope/Tess, sauvé autant qu'il failli être dévoré par d'étranges et monstrueux hybrides aux beaux corps de Sirènes et à la faim de Piranhas (notons tout de même que les Sirènes de l'antiquité grecques étaient ailées, non pisciformes), survivant dans les bassins de la piscine Molitor.

Estelle Faye fait aussi profiter son lecteur de ses excellentes (et judicieuses) connaissances en matière de Jazz (Ah ! Ce moment où l'on évoque la douloureuse, la fascinante, l'inimitable Billye Holliday. Comment ne pas y être sensible ?). Et si l'écriture n'est pas ce moment de perfection stylistique que d'aucuns semblent décrire ici et là, il faut cependant reconnaître à l'autrice un charmant brin de plume, un grand sens du mot et du rythme de la phrase, une plume claire, vivante, souvent lumineuse (même dans les lieux les plus sombres de son histoire), toujours efficace - bien que l'on relève une petite chute de tension, de niveau parfois, dans une large seconde moitié du livre. Comme si l'autrice s'était momentanément lassée de son sujet, avant que d'en retrouver le souffle.

Avec tout ceci, et bien d'autres références (voir l'excellente analyse d'Alfaric donc les lumières en matière de cinéma et de culture manga sont des plus judicieuses) nous aurions dû être emporté au septième ciel des lettres, de l'art et de l'imagination. Pourquoi cela ne prend-il pas à hauteur de ce que cela devrait ?

Il y a cette intrigue, d'abord. Menée tambour battant sans nul doute, mais souvent cousue de fil blanc.
Il y a ce Chet, qui subit plus qu'il ne semble véritablement acteur de ce qu'il décrit. Presque toujours en retard d'un coup sur son présent. Presque toujours à dire oui tandis qu'il pensait non. Pour le déroulé de l'intrigue, c'est préférable. Pour la psychologie du bonhomme, c'est assez désastreux.
Il y a ces nombreux personnages - non qu'ils soient trop nombreux : on a toujours besoin de second, voire de troisième couteaux dans le fil une bonne intrigue - mais à l'exception de Chet, aucun auquel vraiment s'attacher, aucun pour lequel on parvient à ressentir de l'empathie pas plus qu'une véritable détestation ni rejet pour les "méchants". L'un après l'autre, ils sont tout juste esquissés, comme si, finalement, aucun d'entre eux n'avait de réelle importance tant ils demeurent quasi tous en creux. du coup, Chet lui-même s'en trouve affadi.
Il y a ce Paris que l'on parvient à reconnaître sous sa gangue de saleté, d'ordures, d'herbes GM, de destructions et de transformations désordonnées, qui aurait sans aucun doute pu être bien plus un personnage qu'il n'est là un intrigant, fascinant mais cependant simple décors. Il n'est bien entendu pas dans le propos d'Estelle Faye de faire de ce roman le portrait amoureux d'une ville, dans la lignée de James Joyce avec son Dublin ou de la forme d'une ville d'un Julien Gracq nous contant sa Nantes, mais il est dommage de ne pas avoir poussé un peu plus loin dans cette direction trop irrégulièrement esquissée.
Il y a les conditions qui ont crées ce monde désolé, cette Bordure, ce Paris ghettoïsé, ces innombrables bandes se référant à des savoirs plus ou moins oubliés, s'affrontant encore pour on ne sait quelle antique guerre. Rien qui permette de comprendre vraiment comment on en est arrivé-là. Comment tout ce petit monde parvient malgré tout à survivre. L'amateur de dystopie s'en trouve assurément frustré et même s'il faut bien convenir que ce n'est pas là l'objet principal de ce texte, il est regrettable de ne pas s'y être un peu mieux arrêté.
Il y a peut-être, aussi, cet excès référentiel. Comme si l'idée et les intentions d'Estelle Faye ne pouvaient être intéressantes et dignes par et pour elle-mêmes sans en appeler à toutes ses connaissances et à un nombre imposant de "grands anciens" reconnus. Un manque de confiance en ses capacités et son génie créateur...?
Il y a ce final, en deux temps, qui semble passablement bâclé aussi. Comme si la veine était alors sur le point de se tarir, que l'amusement à écrire ce qui n'est pas un mauvais texte, soyons honnête, mais plutôt un ouvrage où l'on sent que l'on est passé "à côté", comme si ce plaisir de raconter n'avait cessé de s'amenuiser au fil des pages, qu"'il avait fallu, à toute force, achever l'ensemble.

Il y a des textes - dans ce genre comme ailleurs - mille fois moins bon que cet "Un éclat de givre", assurément, et nous tenons à le préciser.
Pour autant, quel sentiment de vrai loupé éprouve-t-on en refermant un tel roman qui avait non seulement tout pour plaire, mais aussi tous les ingrédients pour satisfaire le plus irréductible des lecteurs, y compris de ceux explorant peu ces rivages littéraires. Tout y était, ou peu s'en faut, pour aboutir à un grand moment de lecture. On en ressort pourtant transi (un peu comme après le supplice de la douche écossaise...), désappointé et, indéniablement, déçu. Un certain manque de "bouteille", peut-être ? Seul l'avenir saura le préciser !
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