Ce tome fait partie d'une série de réédition thématique (autour d'un dessinateur), éditée par Fantagraphics, à partir des publications EC Comics. Comme son titre l'indique, celle-ci est consacrée à
Al Feldstein. Ce tome comprend 23 histoires en noir & blanc, toutes écrites par William M. Gaines et
Al Feldstein, 16 dessinées par Feldstein, 1 par Graham Ingels, 3 par George Roussos, 1 par George Olesen, 1 par Max Elkan et 1 par Sid Check. À l'origine, ces récits sont parus dans les magazines "Weird science" et "Weird fantasy", entre 1950 et 1952. Il comprend également une introduction (6 pages) de Bill Mason, un court paragraphe de
Gilbert Hernandez (également en introduction), un entretien de 8 pages d'al Feldstein (réalisé par
Gary Groth pour cet ouvrage), une postface de 6 pages de RC Riggenberg sur la vie d'al Feldstein, un texte de 3 pages contextualisant les comics EC dans leur époque, et 2 pages de présentation des différents créateurs.
Chacune des histoires est construite suivant le même principe : à partir d'une situation dangereuse ou conflictuelle s'inscrivant dans le genre de la science fiction, le récit s'achemine vers une chute à base de justice poétique. La plupart des histoires comportent 8 pages, quelques exceptions n'en comportent que 6 ou 7. D'une histoire à l'autre, les intrigues reposent sur des invasions extraterrestres de la Terre, un individu dont le cerveau a été transplanté dans un corps de robot, l'invention d'une nouvelle arme de destruction massive (bombe aux rayons cosmiques, bombe atomique à la puissance 1.000 fois supérieure à celles existantes), une émission de radio décrivant une invasion extraterrestre, un dôme impénétrable protégeant New York de toutes armes de destruction, un robot servant d'épouse parfaite sur tous les points. Il est également question de survie post-guerre nucléaire, de voyage dans l'espace, de monstre à 4 dimensions, de génie scientifique adolescent, de voyage temporel, et d'esclavagisme.
A priori le lecteur familier des travaux d'al Feldstein le connaît surtout pour être l'auteur (ou le coauteur avec William M. Gaines) de centaines de scénarios pour les EC Comics (environ 500 histoires à son actif). Il se trouve qu'au départ,
Al Feldstein a également illustré une trentaine d'histoires pour les comics EC. le présent tome propose donc d'en découvrir 16, ainsi que 7 autres illustrées par d'autres collaborateurs moins fréquents. En tant que dessinateur, Feldstein a un style assez clair avec des traits précis pour délimiter les contours, mais une tendance marquée à charger ses cases en encrage, ralentissant un peu la lecture, le temps d'assimiler toutes les composantes de chaque image. Étrangement ses dessins semblent un peu moins écrasés par le texte que ceux d'autres dessinateurs (à commencer par
Al Williamson, voir le recueil qui lui est consacré). Mine de rien les dessins de Feldstein ne sont pas trop naïfs, grâce à une volonté de réalisme qui se traduit par des postures assez naturelles pour les personnages, et des arrières plans assez variés rendant régulièrement compte (plusieurs fois par page) du lieu où se trouvent les protagonistes.
Le lecteur attentif pourra même repérer de temps à autres des images plus travaillées que d'autres. Par exemple, il apparaît rapidement que Feldstein innove pour représenter des explosions atomiques les plus effervescentes possibles. La première page de "The last city" utilise un contraste noir / blanc pour figurer l'intensité lumineuse que n'aurait pas renié
Frank Miller dans "Sin city". La vision d'une vieille guimbarde conduite par 2 péquenots au pied du Capitole à Washington DC est assez irrésistible de drôlerie. Par contre Feldstein éprouve de grande difficultés à varier les expressions des visages, plus d'un personnage sur deux arborant une bouche ouverte pour figurer sans nuance toute une gamme d'émotions allant de l'étonnement à l'effroi. Si l'on peut comprendre la volonté de l'éditeur Fantagraphics de faire découvrir d'autres dessinateurs moins connus des EC Comics, la pertinence de leur inclusion dans le présent tome consacré à Feldstein m'a échappé (nonobstant du fait que l'histoire dessinée par Graham Ingels m'a convaincu d'acheter le tome qui lui est consacré).
Ce recueil consacré à Feldstein permet donc de le découvrir en tant que dessinateur, mais il permet également de découvrir une palette assez large des thèmes de science-fiction qu'il abordait. Cela va de la peur de la bombe atomique, à la peur de la conquête de la Terre par des races extraterrestres inamicales (l'invasion par des étrangers), en passant par le voyage dans le temps. le lecteur s'attend bien sûr à ce que la science-fiction de l'époque reflète l'angoisse relative à une guerre nucléaire, aux mutations qui s'en suivront, et à toutes formes d'invasion. En ce sens, ces histoires sont le témoin de leur époque, et même de l'inconscient collectif des États-Unis. Certaines des scènes illustrées ont gagné le statut d'archétypes, telles les foules fuyant sous la menace d'un monstre à 3 yeux, ou le champignon atomique mettant un terme à la race humaine. Les années passant, ces mêmes scènes ont été parodiées maintes et maintes fois. L'interview de fin entre Feldstein et
Gary Groth fait ressortir que Gaines & Feldstein ne se contentaient pas de recycler ces thèmes.
En effet le lecteur pourra en découvrir mettant en évidence que ces 2 scénaristes profitaient de la liberté des comics pour aborder des sujets plus nuancés ou plus ambitieux. Ils étaient capables de se mettre en scène dans leur propre histoire pour inventer une intrigue à base de bombe à rayons cosmiques, en expliquant qu'ils avaient sans le savoir dévoilé un projet secret de l'armée. Ils s'amusent à donner leur propre version de l'émission radiophonique de la "Guerre des Mondes" d'Orson Welles (The War of the Worlds). Ils utilisent le voyage dans le temps pour mettre en scène un homme de leur époque acquérant une femme robotique parfaite, conçue pour répondre à tous ses désirs. L'épisode "Monster from the fourth dimension" implique l'apparition sur Terre d'un monstre à 4 dimensions, à partir d'un postulat que n'aurait pas renié
Alan Moore. D'une certaine manière, Gaines et Feldstein vulgarisaient les différents thèmes de science fiction de l'époque sous forme de bande dessinée, tâche ardue pour ne pas risquer de verser dans l'infantile réducteur.
La lecture de ce tome permet de découvrir
Al Feldstein en tant que dessinateur (sympathique, sans être exceptionnel) et de disposer d'un échantillon représentatif des histoires de science-fiction écrites par Gaines et Feldstein qui ne se contentent pas de recycler ad nauseam la peur atomique et les invasions extraterrestres.