Le retour à la terre est une série en cours en cinq tomes de
Manu Larcenet,
Jean-Yves Ferri et
Brigitte Findakly. Elle est éditée chez Dargaud dans la collection Poisson Pilote.
A la fin des années 90, les auteurs prometteurs tels qu'issus de
Fluide Glacial ou de l'Association sont approchés par les grands éditeurs. Dargaud lance la collection Poisson Pilote, qui porte ainsi bien son nom, puisque commencé au tout début de l'an 2000, elle ne propose que des auteurs de cette génération.
Manu Larcenet fait partie de la bande de
Fluide Glacial, à l'époque entièrement en noir et blanc pour les pages intérieures, avec d'autres auteurs désormais de renom tels que Blutch ou
Etienne Lecroart.
Dans sa série Blotch, Blutch transpose le journal à la belle époque et met en scène des alter-ego de ses collègues.
Larcenet devient ainsi Larssinet, Gaudelette devient Gouttelette, et le journal se transforme en recueil de dessins humoristiques avec un simple récitatif, version
Almanach Vermot.
Larcenet a toujours dessiné et écrit selon ses deux visages : l'un est enjoué, drôle, caustique, fan de punk et d'absurde, comme dans Bill Baroud. L'autre est angoissé, rempli de doutes et de troubles psychosomatiques ou réels. Dans sa collection On verra bien éditée aux Rêveurs de runes, il publie des histoires personnelles et très sombres sur son service militaire ou son statut d'auteur. Quittant la vie de banlieue qui sied à sa culture de la rue pour la campagne, cherchant sans doute un peu de calme,
Larcenet voit son ami
Jean-Yves Ferri lui proposer une méta-série mettant en scène son alter-ego Manu Larssinet dans cette nouvelle vie. C'est le Retour à la terre.
En cinq tomes, Manu Larssinet dompte donc le retour à la vie à la campagne, et devient un homme et père accompli. Les titres des tomes ne trompent pas : La vraie vie, Les projets, le vaste monde, le déluge, Les révolutions. Chacun apporte son lot de tracas quotidiens, des premiers problèmes de connexion internet aux manques de la vie citadine, de la nature indomptable aux joies du potager.
En choisissant la format en demies-planches, Ferri remet au goût du jour les gags de Gaston, maniant un humour de situation proche des sitcoms américaines, où un seul regard peut faire office de blague. Il garde également un scénario en filigrane, où chaque album trouve une conclusion et se concentre sur quelques péripéties déclinées sur plusieurs gags : l'abattage de châtaigner, le dessin pour l'affiche de la fête du cochon, la convention de bd, le week-end du frère citadin…
Cela génère une galerie de personnages touchants et tous attachants, du maire magouilleur à la vieille ancienne résistante, des potes punks aux autochtones rustres mais accueillants, du chat paumé au chien de berger. Ensemble, ils festoient aux Ravenelles (la ferme des Larssinet), recueillent des ravers pourchassés par la maréchaussée, affrontent Paris et ses éditeurs, jouent de la musique et goûtent aux produits de la terre.
Larcenet dessine tout cela simplement, sans fioritures, mais avec un dynamisme fantastique, une science de l'onomatopée, et donne vie à de vrais personnages avec trois traits universels mais qui une fois associés prennent une toute autre signification.
Ferri écrit sa méta-série en mettant en abyme cette même série, menant à une suite de gags métaphysiques sur le personnage de papier et son modèle réel, tout en gardant un réalisme savoureux. Jamais le lecteur n'est perdu ou ennuyé par ces petites scènes parfois anecdotiques.
Parfois, la demie-planche devient une seule case, et le dessin devient un vrai dessin humoristique à la
Sempé, le texte du bas remplacé par le titre du gag en haut à gauche. Les couleurs de
Brigitte Findakly sont fonctionnelles mais également rassurantes, jamais agressives ou déplacées, soulignant l'état d'esprit d'une série aussi poétique que drôle.
Partageant les valeurs de l'entraide et du partage, les personnages du Retour à la terre essaient constamment de trouver un équilibre entre la modernité du monde et la nature toujours indomptable. Les solutions qu'ils trouvent sont souvent désarmantes de simplicité et célèbrent toujours l'amour de la vie, des enfants, des bonheurs évidents. Tout comme son illustre modèle, ses relectures n'ennuient jamais et rendent toujours euphoriques et heureux. Elle fournit des blagues à la vie de tous les jours, rendent complices : ma fille me demande régulièrement quand allons-nous aux Ravenelles, alors qu'elle pense en fait à un autre endroit.
Publiée entre 2002 et 2008, la série n'est pas officiellement terminée, mais j'ai personnellement peu d'espoir de voir un tome 6 un jour. Cela n'est pas problématique malgré l'évolution du trait de
Larcenet, qui devient plus sec et anguleux avec le temps, cherchant sans cesse la vérité dans le mouvement naturel de ses pinceaux.
Grand succès commercial, la série est pourtant moins reconnue que celles que
Larcenet développa seul comme le combat ordinaire ou Blast. Elle ne mérite pourtant pas d'être ignorée tant ses qualités sont nombreuses et son sujet tellement universel qu'elle n'est pas prête de veillir.
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