Que diable allait-il faire dans cette galère ?
Mais qu'a donc pris
Robert de Flers pour qu'il en vienne dans sa préface, toute élogieuse qu'elle soit, à déflorer le ressort principal du récit de
Bernard Frank.
Il faudra donc sauter par dessus cette dernière et y revenir une fois la dernière page de l'ouvrage tournée.
"Le carnet d'un enseigne de vaisseau" est un petit recueil de souvenirs, le modeste carnet d'un enseigne de vaisseau qui se fit pirate entre août et novembre 1915.
Son auteur est Bernard Poulailler, plus connu sous le pseudonyme de
Bernard Frank.
Un homme exquis ! s'il en est.
Un excellent marin peut être un mauvais narrateur.
Mais
Bernard Frank est un de ceux-là qui écrivent, la mathématique étant aussi littérature, qui écrivent, donc, leurs journaux de bord avec autant de soins qu'il prennent un relevé où alignent un point.
L'on pourrait découvrir aux hasards d'une note de service l'apparition d'une aurore aux doigts de roses.
Le style est élégant et soigné, léger mais précis.
L'humour même n'y est pas absent.
Et si la préface déflore le noeud de l'affaire, peu importe après tout car là n'est pas le véritable intérêt de l'ouvrage, où il tient d'ailleurs peu de place (une cinquantaine de pages du livre qui en comporte deux cent cinquante).
Installé, en 1916, à Plougonvelin, au petit fortin du Créac'h, avec vue sur le goulet de Brest, sur l'infini du ciel et de la mer,
Bernard Frank est désigné en août comme pacha en second du "Nord-Caper", un chalutier de quarante mètres de long, pour faire la chasse aux sous-marins allemands.
Adieu fort, fleurs et vie pastorale, voilà notre belle plume devenue commandant en second d'un pauvre petit bateau de rien du tout, et cap sur la Méditerranée ...
Ce livre est un livre de souvenirs, de portraits, d'anecdotes et de paysages.
La sortie de l'église de Plougonvelin, la terrasse d'un café chic rue de Siam à Brest, la grande rade ... de la Bretagne à la grèce, la guerre semble bien loin.
La guerre, pouah, le vilain mot !
Pourtant, quelques lignes, plus personnelles, évoquent la peur, la rancoeur contre l'ennemi et même la compassion pour le seul blessé de l'affaire, un marin du Nord-Caper.
Mais l'ouvrage n'est pas un livre de guerre.
De guerriers, il n'est pas ici question ...
D'un fourrier dont il sera dit qu'il était un séducteur, oui ...
D'une figure de vent debout qui s'est enivré pendant le service, oui aussi ...
Et de bien d'autres personnages ...
D' autrefois, d'aventures et de marins, il est ici question.
L'ami Farrère, en 1918, avait préfacé "Dix-neuf histoires de sous-marins", le premier ouvrage de
Bernard Frank, il aurait pu tout aussi bien être ici encore de la partie.
Lui, qui aimait, de façon délicate, écrire pour ces dames l'aventure du marin, de celui dont
Chateaubriand disait qu'il avait ce quelque chose d'aventureux qui nous plaît et qui nous attache ...