Jusqu'au Frioul la mer n'était qu'un miroir.
La canicule venait de balayer dix ou vingt mille vieillards. Certains d'entre eux attendaient encore dans les frigos que leurs enfants rentrent de vacances pour remplir les papiers.
Une femme assise devant son café regardait son passé.
Je pensai que désormais je ne pourrais plus avoir sur le mien un regard si lointain. Mon passé avait vingt-quatre heures.
Marseille est une ville qui vous enlève le goût de voyager, d'une rue à l'autre vous changer d'odeurs, de bruits, de continents. D'avenues tirées à quatre épingles aussi propres que la Suisse, je débouchais dans les dédales de Naples ou la banlieue d'Alger. Vous traversez la terre en une nuit et vous tombez soudain sur des mâts qui se balancent en plein milieu de la ville.
Qu'étais-je venu faire dans cette autre caserne? Déserteur...Ne l'avais-je pas été toute ma vie? Seul dans mon appartement depuis quelques années au milieu des livres, du ciel et des oiseaux. Ma place était sans doute ici, un peu à côté des choses trop réelles, dans une caserne oubliée.
La vie possédait une imagination beaucoup plus extravagante que n'importe quel romancier.
Tous les voisins étaient sur le palier la bouche grande ouverte. La canicule n'expliquait pas tout.
La place aussi s'était figée pour regarder l'écrivain local démarrer en trombe sous le fouet bleu du gyrophare.
Il donna l'ordre à deux de ses hommes de s'occuper de l'appartement. Pendant que je m'habillais, je lui demandai s'il fallait que j'emporte quelque chose de particulier.
– Seulement tes papiers d'identité.
– Dois-je prévenir quelqu'un ? C'est une garde à vue ?
J'avais dit cela sans réfléchir. Sans doute une réplique de film. J'en regarde tellement la nuit, seul ou avec ma fille Julie.
Il me considéra étrangement.
– Je veux d'abord t'entendre comme témoin, le juge décidera ensuite... Tu connais la garde à vue ?
– Je connais surtout le cinéma.
Son regard étrange s'intensifia. Cet athlète ne devait pas posséder que du muscle. Je fourrai un peu de monnaie et ma carte d'identité dans la poche de mon jean et nous dévalâmes l'escalier.
Le grand blond se tourna vers moi.
– Tu le connaissais ?
Je fis signe que non.
– Comment se fait-il qu'il soit venu directement chez toi ?
– J'ai entendu frapper, j'ai ouvert, il a traversé comme un courant d'air et il a filé par là.
Le flic baissa les yeux et sembla s'apercevoir seulement que j'étais presque nu.
– Enfile un pantalon et un tricot, je t'embarque. On étudiera la question dans mon bureau.
– Il n'ira pas bien loin, déclara un colosse aux cheveux blonds rasés qui semblait être le chef. Bouclez tout le quartier !
Le gros du troupeau se rua dans l'escalier. Je jetai un coup d'œil furtif sur le pot de laurier-rose, le terreau ne semblait pas avoir été remué.