«
La liberté, pour quoi faire ? » demandait
Georges Bernanos.
C'est un titre qui sonne mieux que «
La peur de la liberté » d'
Erich Fromm. Et pour tout vous dire, une note de lecture qui commence de cette manière, ce n'est pas forcément de bon augure.
Il se trouve déjà que la liberté, dans le domaine qui est celui d'
Erich Fromm (la psychologie), s'apparente souvent à une vulgaire forme de fantasme. La liberté, ça serait bien, mais la plupart des gens n'osent pas, nous disent les psychologues. Les gens veulent se débarrasser de la liberté, ajoutent-ils. Oui, mais, encore faudrait-il qu'ils aient eu une liberté pour pouvoir s'en débarrasser.
Voilà ce que nous sommes obligés d'entendre la plupart du temps. Dans le fond,
Freud serait plus proche de
Bernanos : la liberté, si nous pouvions l'avoir, pourquoi la vouloir, puisque nous ne la désirons pas ?
Mais
Erich Fromm saute du domaine de l'individuel au domaine du collectif. La liberté serait avant tout une histoire des masses. La liberté au temps de l'anonymat, la liberté au temps de l'émergence de la dimension de l'individu, la liberté à l'époque de la Réforme, la liberté au temps du nazisme, la liberté dans la démocratie, etc. Ces cheminements à travers une portion très congrue de la frise chronologique de l'histoire occidentale sont l'occasion de démontrer que l'homme est un animal blessé d'un événement qu'il a oublié et dont il essaiera toute sa vie de se venger –
Erich Fromm donne à cet état le nom de « sadomasochisme quotidien ». C'est à cause de cette déception primaire que nous serions malheureux et que parfois, ce malheur connaîtrait une assomption jubilatoire à l'échelle de la société. Toutefois, la plupart du temps, comme la civilisation nous interdit de nous venger n'importe comment, nous retournerions notre soif de vengeance contre nous-même. Cette hypothèse très comportementaliste est peu convaincante mais nous devrons nous en contenter. Tel est le prix de la liberté.
Erich Fromm étudie particulièrement les modalités d'expansion des relations de type sadomasochisme à l'échelle de la société en passant par le prisme de la religion, à travers les cas de Luther et de Calvin. le propos devient un peu plus intéressant puisqu'il vise à prouver que les mouvements prônant la libération des anciens dogmes n'aboutissent en général à rien d'autre qu'à étouffer un peu plus la liberté. Les dieux sont utiles parce qu'ils délestent l'homme de tout ce qui est véritablement hors de sa portée.
Tiens, tiens, tiens, se dit-on,
Erich Fromm penserait-il lui aussi que la liberté a quelque chose à voir avec la responsabilité ?
La destitution de l'autorité traditionnelle détenue par l'Eglise, telle que la souhaitaient Luther et Calvin, n'aurait fait que rétablir une nouvelle forme de soumission encore plus autoritaire et aliénante, nous dit From'. L'humiliation s'intériorise sans intermédiaire divin et une lutte paradoxale contre la destinée s'établit dans le contrôle de chaque instant sur soi-même. La liberté est responsabilité, c'est-à-dire qu'elle reconnaît aussi que tout le reste lui échappe. Bien curieuse conception de la nécessité de la vraie religion, certes – mais pour une fois qu'elle n'est pas ridiculisée, savourons-en toute la saveur acidulée.
From' consacrera évidemment quelques chapitres aux totalitarismes (nazisme, démocratie). C'est bien, mais ça ne sert à rien, comme nous le prouve l'éternelle répétition de l'histoire sous des formes toujours trop neuves pour les esprits appliqués.
From' réclame un individualisme plus fort. Pas le semblant d'individualisme qui sévit à notre époque, qui sonne creux parce que personne ne sait quoi y foutre dedans puisque malgré des formes et des couleurs différentes, tout appartient au cycle de la production/consommation d'abstractions. Pas nom plus l'individualisme de l'humanisme qui s'exacerbe à mesure qu'il croit se sacrifier pour l'humanisme. L'individualisme de quoi alors ? Je ne sais pas trop. L'individualisme qui n'a pas peur sans doute. Encore faudrait-il savoir de quoi.