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Critique de Charybde2


Un fascinant chef-d'oeuvre de manipulation du lecteur à travers le narrateur, d'hommage au second degré et de magie profonde des faux-semblants et des miroirs aux alouettes. L'aventure, est-ce l'aventure ?

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/07/26/note-de-lecture-actions-speciales-jean-hubert-gailliot/

Sept ans plus tard, paraissant chez L'Olivier en mai 2021, « Actions spéciales » serait, de l'aveu même de l'auteur à Florence Bouchy, du Monde, dont la belle chronique est à lire ici, « comme une espèce de purge, pour écrire dans le pur plaisir de laisser aller son imagination, sans point d'appui culturel ni références littéraires explicites ». On se permettra ici, très franchement, d'en douter. Joie du récit et plaisir de la narration, indéniablement (et à quel point !). Mais ce n'est pas un fin connaisseur de Robert-Louis Stevenson comme l'est Jean-Hubert Gailliot (ce dont témoigne notamment, sous sa casquette d'éditeur chez Tristram, la superbe nouvelle traduction de « L'Île au trésor », par Jean-Jacques Greif, publiée en 2018) que l'on prendra en flagrant délit de sous-estimer la puissance des substrats conscients et inconscients logés chez la lectrice ou le lecteur. Même lorsqu'il n'est pas directement confié au narrateur la tâche de les évoquer, fût-ce en affectant de les renvoyer à leur statut (précisément) « grand public » ou de « mauvais genre », les références de culture populaire contemporaine fourmillent, de la constitution d'équipe pour un casse sublime, à la Steven Soderbergh de la série « Ocean's » (sans qu'il soit d'ailleurs ici besoin d'envoyer des frères ennemis aux penchants zapatistes dans une maquiladora mexicaine pour résoudre un problème de dés), aux plus notables scènes de casino, où les smokings de Sean Connery, Roger Moore ou Daniel Craig, par la grâce (aux limites de la farce) imaginée par Ian Fleming et par les nombreux réalisateurs qui s'en sont inspiré, peuvent hanter librement chaque élément de décor. Charles Leavitt, pour son scénario de « Blood Diamond » bien entendu (et on oubliera subrepticement de commenter au passage l'accent rhodésien de Leonardo DiCaprio), comme John le Carré, pour « La constance du jardinier » sont explicitement, et fort logiquement, convoqués à la barre des grands témoins. C'est pourtant sans doute du côté d'aventuriers littéraires un peu plus anciens que l'on peut chercher la véritable résonance (et certaines clés secrètes d'un code éventuel) avec « Actions spéciales ». le Graham Greene de « La Puissance et la Gloire », du « Troisième homme » ou de « Notre agent à La Havane », davantage encore que le mécanicien de génie ayant enfanté George Smiley, inscrit avec une suprême élégance l'esthétique et l'éthique au centre des préoccupations du monde du renseignement (et de la « non-stricte-légalité »), tandis que le Joseph Conrad de « La rescousse » (sans parler de celui de « Au coeur des ténèbres » et de sa sublime instrumentalisation d'une mythologie africaine pour Occidentaux), en créant le personnage de Tom Lingard, le commandant du « plus beau brick » d'Indonésie, constitue la matrice presque pure de l'aventurier intrépide, chevaleresque, pragmatique et néanmoins élégant en toutes circonstances.

Magnifié par le dessin et les portraits de protagonistes confiés à Sébastien Verdier, qui accentuent joliment cette projection des années 1950 dans les années 2020, « Actions spéciales », tout en faux-semblants inscrits au coeur de ses scènes trompeusement simples d'action et de beauté, agite savamment sa main droite pour mieux nous dissimuler ce que fait sa main gauche (et ce ne sont ni le Christopher Priest du « Prestige » ni la Nina Allan de « Complications » qui nous contrediraient ici). Jean-Hubert Gailliot, avec un art d'autant plus manifeste qu'il apparaît comme plus libre, arrive au chef d'oeuvre en nous donnant férocement envie de croire, nous aussi, avec l'agent Kujan, que l'insignifiant Verbal Kint aurait bien été recruté par Keyser Söze (qui que soit celui-ci) uniquement pour qu'il y ait un narrateur disponible, pour nous, lorsque tout aura été consommé.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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