J'adore ce type de romans américains où l'on est embarqué avec les personnages dans un road movie à travers l'Amérique profonde. C'est exactement ce qu'on a dans
American Gods. On parcourt en effet le territoire à bord d'une vieille voiture (relique de temps révoqués mais bien meilleurs). Villes, campagnes, routes secondaires, motels miteux… : bienvenue en Amérique !
J'ai toujours trouvé cela assez fascinant de prendre la route dans ce pays qui s'y prête particulièrement bien. Ici, cela marche d'autant mieux que l'on se trouve au carrefour de cultures et de valeurs très différentes. Au-delà de l'opposition villes/campagne et de la différence Nord/Sud, on a également une opposition entre Anciens et Modernes, à travers le conflit des anciens Dieux et des Nouveaux. Au roi $ et aux médias puissants s'opposent les valeurs et symboles d'une ancienne Amérique florissante : anciens Dieux oubliés, culture millénaire en perdition. On peut y voir une sorte d'opposition "permanence du passé – fulgurance du présent". Un équilibre fragile qui nous donne la sensation à chaque instant d'être sur un fil.
J'ai surtout eu l'impression de lire une partie d'échecs. Deux camps, et chacun avance ses pions, élabore une stratégie défensive/offensive, puis étudie les mouvements de l'autre. Mais pour que ce soit plus passionnant que ça,
Neil Gaiman rajoute du piment. Un personnage lambda placé juste entre les deux, Shadow Moon. On ne sait pas trop pendant un temps ce qu'il fiche là (lui non plus d'ailleurs). Mais ça apporte quelque chose d'assez surprenant. D'autant qu'il est accompagné de Laura, son épouse. Et autour de ce duo improbable se tisse toute une histoire parallèle qui s'imbrique dans la principale. Et puis il y a la recherche d'alliés par Voyageur et Shadow, ce qui nous amène à parcourir ces Etats-(dés)Unis (le plateau de jeu) pour rencontrer toutes sortes de divinités anciennes dans le corps et la peau de personnages très différents et plus ou moins modernes.
Ajoutons à cela un cadre urban fantasy. On est totalement dans ce registre et c'est très réussi. Ajoutons à cela une flopée de rêves, pas mal d'interludes « historiques »… Et on a un texte qui semble décousu, partant dans tous les sens avec pas mal de longueurs parfois. Mais tout cela mis bout à bout donne une fresque assez farfelue et cohérente à la fois. Une sorte de reflet assez réaliste de ce qu'est ce pays si grand et bourré de contradictions. J'ai également adoré ici le dialogue entre magie et nouvelles technologies, personnifiées en Dieux nouveaux.
En revanche, côté structure du roman et construction de l'intrigue,
American Gods ne se révèle pas innovant. le roman se lit comme une sorte de conte, une critique assez féroce de la société américaine contemporaine. D'ailleurs, le langage très oral et vulgaire s'accorde bien au délitement de ce monde en perdition. Et d'autre part, sur le motif de la quête, qui est double : quête de sens pour Shadow et de rédemption pour Laura.
Neil Gaiman découpe son roman en plusieurs parties, entrecoupées de trois interludes. J'ai beaucoup aimé les récits de la construction américaine, donnant à l'ensemble une coloration Historique. Comme un contexte dans lequel la petite histoire s'intègre. Il en résulte de longues réflexions sur l'identité et la construction américaines, notamment à travers le regard de M. Chaquel, évoquant notamment l'esclavage. J'ai eu la sensation qu'on me disait qu'en fait, l'origine même de cette nation était pourrie, rongée par les vers dès ses débuts.
American Gods se situe alors dans la continuité, faisant s'affronter deux systèmes de valeurs dans la violence et le sang. Comme une répétition encore et encore de ce qui s'est joué plusieurs siècles auparavant.
Enfin, j'ai été assez surprise du twist final. Et je dois dire que je ne m'y attendais pas du tout. de quoi remettre tout mon bla-bla précédent en question. Bref, un roman qui jusqu'au bout tient ses promesses et son lecteur en haleine. Et ce, malgré des longueurs évidentes, des à-côtés parfois un peu répétitifs et certains fils laissés de côté.
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