L'Amour au temps du choléra/
Gabriel Garcia Marquez
Le docteur Juvenal Urbino profite de sa retraite auprès de son épouse Fermina Daza : ils viennent de fêter leurs noces d'or et ne savent vivre un seul instant l'un sans l'autre.
Son oeil clinique n'a jamais quitté le docteur et il « reste toujours capable à quatre-vingt-un ans de savoir ce dont souffre un malade à son seul aspect.
Il sait aussi que la plupart des maladies mortelles ont leur odeur propre, mais que nulle n'est plus spécifique que celle de la vieillesse dont son ami Jeremiah dit qu'elle est un état indécent que l'on devrait s'interdire à temps. »
le docteur a encore la lucidité de se rendre compte qu'il est « accroché à ce monde par des filaments ténus qui peuvent se rompre au moindre changement de position pendant son sommeil, et s'il fait l'impossible pour les conserver c'est par terreur de ne pas trouver Dieu dans l'obscurité de la mort. »
Mais quelques jours après avoir enterré ce meilleur ami, Jeremiah de Saint Amour qui a mis fin à ses jours, un accident stupide se produit : voulant attraper son perroquet chéri qui s'est réfugié dans un manguier, le docteur fait une chute et perd la vie.
Fermina Daza n'est pas une veuve éplorée de façon ostentatoire ; secrètement accablée de chagrin, elle se réfugie dans la solitude. Elle songe : « Les gens que l'on aime devraient mourir avec toutes leurs affaires… » Elle ne peut se résoudre à accepter cette mort et ne parvient à sortir des maremmes du deuil : « Elle était un fantôme dans une demeure étrangère devenue d'un jour à l'autre immense et solitaire, et à l'intérieur de laquelle elle errait à la dérive, se demandant avec angoisse lequel des deux était le plus mort : celui qui était mort ou celle qui était restée. »
Dans cette petite ville de San Juan de la Cienaga tout au nord de la Colombie, un homme est fou amoureux d'elle depuis un demi-siècle : c'est Florentino Ariza qui pense que son heure est venue.
Un retour dans le passé de Fermina va nous faire connaître les amours contrariés de Fermina et de Florentino, par le père de celle-ci.
Fermina qui va se consumer dans les braises d'un amour impossible avec Florentino jusqu'au jour où elle va faire succomber le docteur Juvenal Urbino à ses charmes plébéiens.
Tandis que Florentino, malgré sa passion éconduite, va se livrer pour oublier ou se consoler par la suite à des amours débridées avec la veuve Nazaret entreautres, lui qui emprunte le chemin des amours des rues tout en continuant à chasser d'orphelines petites oiselles de nuit dans l'illusion de soulager son mal de Fermina Daza, et même à trouver le temps d'écrire des lettres d'amour pour les autres.
Ses amours avec Sara Noriega avaient cela de pittoresque et saugrenu que pour « atteindre les sommets de la gloire pendant qu'ils faisaient l'amour, elle devait sucer une tétine de bébé. »
Et puis Florentino a un penchant pour les veuves ; il est persuadé que le monde est plein de veuves heureuses : « ils les avait vues devenir folles de douleur devant le cadavre de leurs maris, supplier qu'on les enterrât vivantes à l'intérieur du même cercueil afin de ne pas avoir à affronter sans eux les vicissitudes de l'avenir, mais à mesure qu'elles se réconciliaient avec la réalité de leur nouvel état, on les voyait renaître de leurs cendres avec une vitalité reverdie. »
Et Florentino collectionne avec quelques déboires les conquêtes : « Angeles Alfaro était repartie comme elle était venue, avec son sexe tendre et son violoncelle de pécheresse sur un transatlantique battant le pavillon de l'oubli, et il ne resta d'elle sur les terrasses lunaires qu'un mouchoir blanc en guise d'adieu qui, sur l'horizon, ressemblait à une colombe triste et solitaire, comme dans les poèmes des jeux Floraux. »
Quel humour magnifique et cruel et quel style !
Florentino et Fermina finiront-ils par se rencontrer alors qu'on vient de fêter le centième anniversaire de la mort du Libertador,
Simon Bolivar, survenue en 1830.
Connaitront-ils un dernier voyage au delà de l'amour ? le dernier chapitre est particulièrement émouvant teinté de tendresse, de lucidité et de folie.
J'ai lu ce chef d'oeuvre il y a 25 ans lors de la sortie du livre et à l'occasion de la disparition de
G.G.Marquez j'ai voulu relire ce récit qui m'avait tant plu alors.
Tout d'abord par le style, un style distingué très classique qui a le souci du détail qui percute. Un style essentiellement narratif avec très peu de dialogue, mais avec de la poésie et une magie des mots qui vous transporte dans un autre monde.
Attention cependant, ce n'est pas un livre qui se lit comme un policier : c'est de la haute littérature et la complexité des personnages, les sauts dans le temps et la multitude d'histoires parallèles ou qui se superposent peuvent rebuter certains. Ce serait dommage pourtant de n'aller point au bout de la lecture de ce chef d'oeuvre.
« le docteur Urbino reconnut de près la densité des marais, leur silence fatidique, leurs ventosités de noyé qui, à l'aube de tant d'insomnies, montaient jusqu'à sa chambre, mêlées à la fragrance des jasmins du patio, et passaient comme un vent d'autrefois qui n'avaient rien à voir avec sa vie. »
Saluons au passage la qualité de la traduction de Annie Morvan.