Citations sur Lune captive dans un oeil mort (42)
- C'est un olivier. Il fera bien là.
Le fragile rameau accroché frileusement à son tuteur, émergeant comme un périscope de son énorme pot, exprimait à merveille tout ce qu'il y a de touchant et de pathétique dans l'espérance humaine.
En tout cas, elle n'avait jamais manqué de rien, Maxime était généreux et le superflu qu'il lui offrait lui permettait de se passer de l'indispensable.
Hormis M. Flesh, le gardien-régisseur qu’ils croisaient parfois près du portail, ils ne voyaient personne. C’était un solide gaillard mais peu loquace. Il devait certainement être très efficace, mais ne donnait pas envie de lui taper sur l’épaule ni de discuter le bout de gras en prenant un verre. D’après son accent, il devait être alsacien, ou lorrain. Martial avait quand même appris de la bouche à moitié cousue du farouche cerbère qu’un autre couple devait arriver en mars ou avril.
Martial se leva et se massa les reins. Ce nouveau fauteuil ne valait rien. Il aurait dû insister pour conserver l’ancien qui, avec le temps, avait fini par épouser parfaitement la forme de son corps. Le nouveau était rembourré d’une matière si compacte qu’en le quittant on avait l’impression que personne ne s’était jamais assis dessus. Derrière la vitre, les antennes de télé qui s’amenuisaient dans une perspective infinie lui faisaient penser à des croix sur des tombes.
«On s’est acheté une concession à vie…»
Le temps lui appartenait, à elle, rien qu’à elle, elle pouvait en faire ce qu’elle voulait. Cependant, cet immense territoire vierge dont on lui faisait cadeau n’était qu’un gros glaçon flottant sur un océan de vide qui fondait davantage chaque jour. C’était un peu angoissant, elle avait peur de gâcher. Elle n’avait pas l’habitude, c’est encombrant la liberté.
Rarement le ciel ne lui avait paru aussi vaste, aussi percé d’étoiles. On ne voyait presque plus le noir. Un grand rideau bouffé aux mites, une dentelle de mensonges. On avait envie d’y coller un œil pour voir ce qu’il y avait derrière. Peut-être qu’il n’y avait rien, juste de la lumière ? Le nouveau-né de vingt-quatre heures aurait sans doute pu nous le dire mais, vu les circonstances, il n’avait pas jugé bon de rester. Pourquoi on nous faisait tant de mystère ? Si on savait, on ne se ferait pas tant de mouron. Derrière, y a rien.
Tout ce temps, à présent… C’était comme la traversée d’un long dimanche. Le temps lui appartenait, à elle, rien qu’à elle, elle pouvait en faire ce qu’elle voulait. Cependant, cet immense territoire vierge dont on lui faisait cadeau n’était qu’un gros glaçon flottant sur un océan de vide qui fondait davantage chaque jour. C’était un peu angoissant, elle avait peur de gâcher. Elle n’avait pas l’habitude, c’est encombrant la liberté.
C’était un peu comme s’ils s’étaient payé l’éternité, ils n’avaient plus d’avenir. Preuve qu’on pouvait s’en passer.
Suresnes, où ils avaient vécu pendant plus de vingt ans, lui apparut comme un paradis perdu. Tant d’années à accumuler mille et une petites habitudes avec la pugnacité du Facteur Cheval pour se tisser un cocon de vie douillet, le buraliste, le boulanger, le boucher qu’il appelait tous par leur prénom, le marché du samedi matin, la promenade dominicale au mont Valérien…
L’ombre du doute masqua un instant le soleil. Tout devint uniformément gris, froid et silencieux, comme pendant une éclipse. Odette frissonna mais pas uniquement de froid, c’était autre chose, un sentiment brutal d’absence, un vide à vous couper le souffle.
Derrière la vitre, les antennes de télé qui s’amenuisaient dans une perspective infinie lui faisaient penser à des croix sur des tombes. « On s’est acheté une concession à vie… »