Secoué par le tangage, assommé par le roulis, éviscéré par les vomissements, étourdi par les ballotements, je crois surprendre une conversation dans laquelle on s'agace que je défunte sur le navire. Mon trépas exigerait un arrêt obligatoire dans le comptoir français le plus proche.
- Ils sont capables de te déporter dans les foyers d'accueil, ces goulags capitalistes pour enfants du prolétariat.
La baleinière apolonienne se compose d’un barreur et de six pagayeurs, la kroumen appelle un pagayeur supplémentaire à tribord. Les Apoloniens défient la vague, ils la prennent de face. Les Kroumens se soumettent à la vague, ils la prennent de côté. La trajectoire apolonienne est droite, perpendiculaire à la plage. La trajectoire kroumen est courbe, arc bombé vers l’ouest. À l’attaque d’une vague, la baleinière apolonienne se cabre, la kroumen se cambre. Les pagayeurs apoloniens méprisent ces Kroumens apathiques. Les pagayeurs kroumen vomissent ces Apoloniens laborieux.
Mon poste, mon boy, mon interprète, mes Sénégalais, mes porteurs, mes terres… L’esprit du colonial se construit dans la possession.
Les soirs, lorsqu'elle m'aide pour ma langue de français, Geneviève dit que c'est dommage parce que je vais perdre beaucoup de choses jolies dans la foule. Je la rassure que ma mission et tout le reste, le rapport fidèle pour Camarade Papa, la révolution, lr Grand Soir, je ne les perdrai jamais. Geneviève rit des dents belles. Comme Yolanda. Maintenant, je n'ai plus que sa villa à tulipes pour parler de révolution. Elle m'écoute au coupe-coupe. Chaque fois que ma langue de français attrape une fourche, elle m'arrête.
Tous ces morts chez nous, cela aurait eu plus de sens si au moins il y avait de l'or sous nos églises. En Afrique, il y a de l'or partout. On devrait aller s'entretuer là-bas. Au moins, on aurait des raisons solides.
En tenue de bisou, elle court dans la rue. C'est interdit à toutes les travailleuses du bisou de faire le gigot dehors des vitrines.
La Rochelle en deux jours. À l'arrivée, mon soulagement n'est pas lié au seul inconfort du moyen de locomotion. Assis sur des caisses de munitions et des barils de poudre, chaque cahot rappelle le risque de trépas dans un feu d'artifice.
Un doigt dans l'eau noircie du bénitier, un signe de croix furtif, le bout de banc ne m'accueille que d'une fesse. Mes jambes n'auront pas le repos espéré.
Trois semaines, deux enterrements et une succession qui se résume à ma personne.