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Voici un tout petit livre ouvrant les portes d'un lieu magique. Comme un instant suspendu, entrez dans l'atelier d'Alberto Giacometti et suivez le guide, le poète Jean Genet. de ce bazar indescriptible, vous ne verrez d'abord que les statues filiformes et bien connues du sculpteur. Puis, votre oeil discernera et appréciera la poussière recouvrant une bouteille, la suspension toute simple qui pend du plafond. Dans la lumière de ce modeste atelier survient la beauté, celle des statues et des objets, dans leur plus grande simplicité, leur plus noble humilité. 

La démarche de Jean Genet suit cette ligne pure. le poète ne se veut ni biographe, ni critique d'art et nous livre simplement les émotions et les questions qui l'assaillent devant une sculpture ou ses réflexions sur la création artistique. Pourtant, à travers son regard, notre ressenti se fait plus clair encore. Cet homme qui marche indéfiniment, jetant son buste vers l'avant semble nous renvoyer au plus cruel de notre condition humaine, à l'anonymat et à notre irrémédiable solitude. Pourquoi marcher? Pour aller où? Nous ne sommes que des pantins de l'absurde voués à l'oubli. Ainsi vont ces statues, traversant le temps, d'une éternité à l'autre, dans un mouvement décidé de vie.

Cette humilité, cette conscience de n'être rien si ce n'est l'autre, nous la sentons ici dans la prose poétique de Jean Genet comme dans le travail de Giacometti, merveilleusement photographié par Ernest Scheidegger. On peut penser que les deux amis se rejoignaient sur leur quête du mystère de l'homme et leur recherche d'une solitude féconde. Dans ce livre, ils dialoguent et nous invitent à leur conversation. Certaines répliques sont savoureuses et d'une profondeur inouïe. Ainsi cette exclamation de Giacometti alors qu'il sculpte le portrait de Genet:'' Comme vous êtes beau!” Puis il ajoute cette constatation qui l'émerveille encore plus: ”Comme tout le monde, hein? Ni plus, ni moins.”

C'est le pouvoir merveilleux du peintre ou du poète que de voir la beauté en chacun de nous et de savoir la capter pour l'offrir au monde. Sous les doigts du sculpteur, la matière prend vie. Et si la sculpture devient si fascinante qu'elle en fait oublier celui qui l'a créé, alors l'artiste a réussi son ”enfantement”. Le poète s'est ainsi ”effacé ” derrière le sculpteur qui lui-même ”s'efface” derrière ces morts en marche, ces statues de bronze que notre main aimerait tellement toucher. Car si la peinture est faite pour les yeux, la sculpture est faite pour les mains. Cela semble d'une telle évidence! Certains sculpteurs penseraient-ils autrement qui vous regardent de travers quand vous effleurez des doigts leurs statues dans une exposition? Comment peut-on acheter une sculpture sans en caresser les formes, sans en éprouver la matière? La sculpture naît des mains de l'artiste pour être offerte aux nôtres. A ce propos, Jean Genet écrit ceci: ”Ce sont bien les mains, non les yeux de Giacometti, qui fabriquent ses objets, ses figures.” 
Et puis, le concernant: ”Je ne peux m'empêcher de toucher aux statues: je détourne les yeux et ma main continue seule ses découvertes: le cou, la tête, les épaules... Les sensations affluent au bout de mes doigts. Pas une qui ne soit différente, de sorte que ma main parcourt un paysage extrêmement varié et vivant.”

C'est la matière, toujours, qui nous relie à la terre, à la vie. Ainsi de ces êtres de bronze, surgis des temps immémoriaux, nous garderons l'empreinte de notre propre reconnaissance et la douleur de notre finitude. Mais nous garderons aussi le miracle de cette matière devenue vivante et semblant vouloir venir vers nous, tendue par une énergie, un élan.
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Pour parler de l'art de Giacometti, ses statues, ses dessins, ses portraits, il fallait le regard et la plume d'un poète.

L'approche de Genet est essentielle, parce que, au contraire de celle de Charles Juliet, il refuse à sa démarche toute linéarité, toute historicité: donc, pas de parcours biographique, toujours un peu explicatif, anecdotique et distancié. Pas de mise en perspective de l'oeuvre- avant et après l'accident de voiture, la formation, l'importance du père, de la mère, du frère...

Genet est un "frère" de Giacometti: même fulgurance du regard, même acuité de la forme, même fraternité, même richesse dans la compréhension des êtres et des objets, même refus du social, même découverte des fastes de la misère, même divinisation des êtres et des objets les plus humbles - soudain saisis hors de leur temporalité, dans leur puissance essentielle, éternelle.

Même attirance pour les clochards ivres et les putains magnifiques.

Cet "atelier d'Alberto Giacometti" illustré des belles photos noir et blanc d'Ernest Scheidegger, tisse une sorte de va-et-vient halluciné entre la contemplation des oeuvres- le chien, le chat, les têtes sculptées, les silhouettes qui marchent, les portraits...- et les bribes de conversations entre le poète et l'artiste; fait la navette entre quelques anecdotes incongrues - l'Arabe aveugle, le Japonais portraituré, les femmes du bordel- et une pensée obstinée, comme une abeille en quête de son miel, une pensée pénétrante, fulgurante qui tente d'arriver au plus près de l'art de Giacometti.

Au hasard des visites dans l'atelier de son ami, au hasard des rencontres, des mots échangés, Genet s'approche au plus près du secret de l'oeuvre - et nous le rend palpable.

Au coeur de ce qui rend sa sculpture si vivante.

"Rien n'est plus en repos. C'est peut-être que chaque angle ( fait avec le pouce de Giacometti quand il travaillait la glaise) ou courbe, ou bosse, ou crête, ou pointe déchirée du métal ne sont eux-mêmes en repos. Chacun d'eux continue à émettre la sensibilité qui les créa. Aucune pointe, arête qui découpe, déchire l'espace, n'est morte."

Au coeur de ce qui rend sa peinture si étonnamment proche.

"A mesure que je m'éloigne ( j'irai jusqu'à ouvrir la porte de la cour, sortir dans la rue, reculant à vingt ou vingt-cinq mètres) le visage avec tout son modelé m'apparaît, s'impose - selon ce phénomène déjà décrit et propre aux figures de Giacometti - vient à ma rencontre, fond sur moi et se reprécipite dans la toile d'où il partait, devient une présence, d'une réalité et d'un relief terribles."

Une leçon de regard, une empathie communicative.

Pour moi, qui adore le sculpteur et le peintre, et qui aime le poète, une petite bible à glisser dans un sac, une poche, une trousse , une source à consulter sans cesse: un grand petit livre!

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Une découverte inattendue en fouinant à ma médiathèque.
Un texte fort intéressant, alternant des dialogues de Jean Genet avec Giacometti, des réflexions, questionnements sur les sculptures, dessins de son ami... la propre réalisation de son portrait... Un aspect complètement inattendu de Jean Genet, que l'on sent fortement interpellé par le travail de cet artiste...
Des passages étonnants sur l'ampleur du mystère contenu dans toute oeuvre d'art...
"C'est l'oeuvre de Giacometti qui me rend notre univers encore plus insupportable, tant il semble que cet artiste ait su écarter ce qui gênait son regard pour découvrir ce qui restera de l'homme quand les faux-semblants seront enlevés. Mais à Giacometti aussi peut-être fallait-il cette inhumaine condition qui nous est imposée, pour que sa nostalgie en devienne si grande qu'elle lui donnerait la force de réussir dans sa recherche. "

"L'oeuvre perd un peu de sa solennité. Par le moyen d'une familière reconnaissance je m'approche doucement de son secret...Rien à faire avec l'oeuvre de Giacometti. Elle est déjà trop loin. Impossible de feindre une gentille connerie. Sévère elle m'ordonne de rejoindre ce point solitaire d'où elle doit être aperçue."

Un texte passionnant qui élargit la réflexion sur la perception de l'Art, de la beauté, ses exigences, et sa dimension existentielle comme spirituelle.
Un texte emprunté que je relirai un jour... car il me faut avouer que certains passages ne m'ont pas été aisés à aborder...Je reste enchantée de cette lecture imprévue...
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Jean Genet : L'atelier d'Alberto Giacometti (1963)
Ce tout petit livre, non paginé et d'une écriture décousue, peut être relu sans délai pour juger si c'est un grand texte, personnel, sincère, irremplaçable, ou un fond de tiroir. Genet fait du Genet : « L'art de Giacometti n'est donc pas un art social parce qu'il établirait entre les objets un lien social — l'homme et ses sécrétions — il serait plutôt un art de clochards supérieurs, à ce point purs que ce qui pourrait les unir serait une reconnaissance de la solitude de tout être et de tout objet », mais après tout c'est pour ça qu'on le lit. Il mêle des dialogues, des observations de bistro sans lien avec l'oeuvre ni l'artiste, des supputations sur Giacometti au bordel, mais surtout de très précieuses perceptions. Genet était l'ami de Giacometti et a compris comme personne la dimension tactile de ses sculptures, son respect des blancs sur le papier dans le dessin de l'espace, l'évanouissement de la couleur dans sa peinture, l'effort (qu'Alberto dit désespéré) dans la capture d'un regard, d'une présence. Un grand texte. Quelques citations :
« Ses dessins. Il ne dessine qu'à la plume ou au crayon dur, — le papier est souvent troué, déchiré. Les courbes sont dures, sans mollesse, sans douceur. Il me semble que pour lui une ligne est un homme : il la traite d'égal à égal ».
« Non seulement les statues viennent sur vous comme si elles étaient très lointaines, du fond d'un horizon extrêmement reculé, mais, où que vous vous trouviez par rapport à elles, elles s'arrangent pour faire que vous, qui les regardez, soyez en contrebas. Elles sont, très au fond d'un horizon reculé, sur une éminence, et vous au pied de la butte. Elles viennent, pressées de vous rejoindre, et de vous dépasser ».
« Giacometti ne travaille pas pour ses contemporains, ni pour les générations à venir : il fait des statues qui ravissent enfin les morts. »
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Certes, c'est un texte sur Giacometti, sur sa manière de sculpter et d'appréhender la matière. C'est aussi un témoignage d'amitié et l'occasion d'en apprendre beaucoup sur l'écriture de Genet et sa façon personnelle d'envisager l'art et la beauté.

FB
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