Refermer un roman de
Sylvie Germain, c'est rompre avec le charme des mots, s'extirper à grand peine d'une chaude intimité livresque.
« je ne suis pas poète « s'excuse Laudes-Marie à la page 242.
Et pourtant…..quel talent elle a cette petite « mal aimée » pour raconter, en dépit d'abandons successifs, de trahisons et de multiples renoncements,ses étranges visions, qu'elles soient peuplées de douceurs ou de violences, pour imaginer et imager la nature, les sons et les couleurs et pour se relever après chaque coup bas du destin !
Enfant « confiée au hasard », d'abord recueillie par une communauté de religieuses, Laudes rebaptisée, au gré de ses errements, n'aura de cesse que rechercher l'affection dont elle a été privée dès sa naissance, abandonnée sur le bitume dans un cageot de fruits aussi colorés et acidulés qu'elle se juge pâle et insipide.
Orpheline, bâtarde de l'existence, frappée d'un anonymat dont l'albinisme est le porte drapeau et la place derechef en marge de la « normalité », Laudes-Claudes-Lola trouvera des mères de substitution en Léontine, veuve de guerre et Adrienne, bergère solitaire, puis un maître à s'instruire en Antonin, instituteur à la retraite et ancien combattant de la grande guerre...
Naïve mais lucide et déterminée à se nourrir et s'accommoder de ce que la vie lui offre chichement, elle se jette bravement dans la mêlée, devenant tour à tour, femme de ménage et à tout faire, dame de compagnie, serveuse de comptoir de gare ou de maisons de rendez vous, factotum d'un écrivain à succes, chanteuse de rue….
Jamais victime Laudes. Même dans les pires moments de l'existence, même violentée dans sa chair et dans son âme, amoureuse délaissée, future maman avortée, témoin d'un meurtre sordide, sauvagement agressée pour un maigre butin, elle joue au Scrabble, chouchoute un orgue de barbarie, copine avec une chouette, ou un âne, puise sa résilience dans le rêve, sondant le ciel, tutoyant la Lune et les étoiles, faisant siens le langage des bêtes et le souffle bienfaisant de la montagne.
Et avec quel extraordinaire humour elle se raconte, traversant les événements et l'histoire de son siècle avec un regard aigu, sans concession, indulgent, révolté ou moqueur mais toujours philosophe.
Sous la plume d'une
Sylvie Germain au style (comme toujours) flamboyant, Laudes n'est pas un personnage de roman, paria de la société, mais un être de chair et de sang.
Au coeur de cet univers impitoyable dont elle accepte la loi puisqu'elle n'a aucun pouvoir sur elle, elle vibre d'humanité et de sensibilité (quelles pages magnifiques elle nous livre sur les voix, celle d'
Edith Piaf mais aussi toutes celles que la Radio, dépouillées de l'influence télévisuelle, nous livre à l état brut…)
Parce qu'elle a compris qu'on ne se bat pas contre le hasard et qu'il faut saisir, sans faire la fine bouche, les moments précieux de ce temps qui nous est compté quand ils se présentent. Se réjouir du bon, du bien et surmonter malheurs et chagrins.
« Je ne suis pas poète » dit-elle à la page 242.
Mais moi, j'en aurais bien fait ma meilleure amie.