Lili se remémore les jeux avec sa grand-mère quand elle était enfant… elle vit avec son père, sa mère Fanny est partie quand elle était toute petite et elle n'a aucun souvenir d'elle.
Un jour, elle apprend Fanny s'est noyée en mer, elle essaie de s'envoler sur sa balançoire pour la rejoindre au Ciel.
Ses compagnons d'enfance sont les oiseaux de la volière, à côté. Elle les connait tous, reconnait leurs chants, le temps s'écoule paisiblement. Un jour, son père agrandit la famille car il a rencontré Viviane dont il est tombé très amoureux. Viviane a une fille Jeanne Joy qu'elle a eu d'une première rencontre, un fils Paul et deux jumelles nées d'une relation avec un troisième homme.
On change tout dans la maison, l'intimité relative avec son père disparaît. Il y a désormais une chambre pour Paul, une chambre pour le couple et autre pièce avec un lit à baldaquin pour Jeanne Joy, deux lits superposés pour les jumelles et un divan pour Lili qui se sent de plus en plus seule parmi tout ce monde, mise à l'écart.
Le premier jour d'école, l'institutrice fait l'appel et elle entend Barbara… elle pense « tiens une autre petite fille porte le même nom de famille que moi », mais non, Lili apprend ce jour-là que son vrai prénom est Barbara, c'est celui que sa mère a choisi mais voilà son père n'aimait pas ce prénom et l'a appelé Lili pour Liliane) sans avoir jugé bon de le lui dire. En fait, on lui a volé son identité purement et simplement..
On assiste à l'évolution des cinq enfants et du couple, ainsi qu'à toutes les petites scènes qui semblent anodines mais vont marquer chacun de façon indélébile, ce que je vous laisse découvrir.
Ce que j'en pense :
Lili Barbara (je lui choisis ce prénom-là), est une petite fille très attachante, à laquelle on a tendance à s'identifier car elle nous rappelle des souvenirs. Elle est secrète, hypersensible à la moindre intonation dans les mots comme dans les actes, mais elle ne dit rien, elle encaisse tout, du moins en apparence.
Elle est à la recherche de sa mère : comment celle-ci a-t-elle pu l'abandonner ? ne pas vouloir d'elle. Elle ne méritait pas son amour ? Elle a compté pour quelqu'un dans sa vie : sa grand-mère qui lui a donné tout son amour, par les mots, les gestes (cf. la scène de la confiture).
La grand-mère meurt pendant que Lili est en vacances chez elle et c'est son premier contact avec la mort. Elle devine sans trop comprendre. Où est la grand-mère ? Au ciel ? Elle n'y croit plus... Une fois de plus, le questionnement dans sa tête, comme pour sa mère.
Quelque chose s'est produit, un mur protecteur s'est effondré, mais encore une fois, elle ne dit rien de sa peine ni de ses interrogations.
Les jumelles, Christine et Chantal (feu follet l'a surnommé le père de Lili occupent toute la place.
Jeanne Joy (référence au parfum de
Jean Patou) grandit, apprend le violoncelle avec application car elle n'est pas douée au départ, c'est à force de répéter qu'elle progresse. Elle-aussi, son père lui manque, pour se construire, pour pouvoir s'attacher à un homme , être amoureuse.
Paul est plus discret, mais provocateur : il fait une crise mystique à l'adolescence et veut devenir moine trappiste ce qui effraie sa mère car son père est de confession juive, donc elle le vit comme une trahison quelque part. « Paul, le fils posthume né avant mariage – conçu trop tôt, né trop tard »
On sent tout de suite que certains enfants sont préférés à d'autres de façon évidente. Lili comprend vite la place que Chantal occupe dans le coeur de son père : elle est sa préférée alors qu'elle, sa fille biologique, n'est rien ou si peu.
Il y a aussi la maison de vacances où ils se retrouvent chaque été. Un jour, Viviane veut faire des photos avec les enfants : les filles doivent être belles avec des foulards de couleurs vives, l'appareil est neuf. Elles posent sur un petit pont de bois qui s'effondre et elles tombent à l'eau.
« Chantal » hurle Viviane ! Encore une fois seule Chantal a de l'intérêt. Mais c'est Christine qui va mourir, victime d'un hématome car sa tête a heurté un rocher.
Le scénario familial est bouleversé, les jumelles venaient juste de faire la connaissance de leur père vivant en Afrique du Sud. Chantal s'enfuit avec lui car c'est trop dur d'être la préférée. Chacun des quatre survivants va dévier encore une fois de sa route.
Lili ne dit pas sa souffrance (elle compte pour du beurre). Jeanne Joy s'en va, Paul perd un peu la vocation et Lili choisit d'aller en pension. Pour son père, elle est quelqu'un d'insensible ou de très fort car elle parait tout encaisser. Elle se construit sur la culpabilité.
Sylvie Germain montre ces petites scènes qui entraînent des fêlures dans la personnalité et modifient l'orientation qu'on a prise. Elle fait une analyse très fine de la construction de la personnalité : on se construit contre quelque chose, contre les parents ou contre une situation. On fait certaines rencontres car on prend des chemins de traverse.
Elle évoque pertinemment le poids des secrets : réels (dans le cas de Paul) ou supposés pour Lili. Mais est-ce le secret qui engendre une réinvention de la vie ou est-ce ce qu'on construit autour ou celui qu'on invente pour tenter de comprendre pourquoi on ne nous aime pas. Donc ce titre est extrêmement bien choisi.
L'auteure pose aussi d'autres questions. Est-ce que la maternité vient toute seule en voyant le bébé pour la première fois ou est-ce qu'elle s'apprend, se construit jour après jour ? Qu'est-ce qu'une mère ? Qu'est-ce qu'un père ? Peut-on donner l'amour quand on n'en a pas reçu ?
Quelle est la place des enfants dans le couple ? On peut aimer un autre enfant plus que son enfant biologique car on est très amoureux de la mère de cet enfant alors qu'il y a eu peu d'amour avec la mère de son propre enfant.
Il y a peu de place pour Lili dans le coeur de son père car ce coeur a été occupé par Viviane, puis par son chien, compagnon de vie avec lequel il veut être enterré. Au risque de choquer je dirais que l'on pourrait presque parler d'abandon au sens moral, bien entendu, mais le résultat est le même.
L'écriture est magnifique :
Sylvie Germain a un vocabulaire riche avec beaucoup de nuances, de variations dans les couleurs de la vie et des choses. Tout est précis, net alors que les mots nous enveloppent de mots subtils. le ruisselet a fait tinter son eau dans l'esprit du rêveur, il a empli sa bouche de volupté et de fraicheur, éclaboussé sa raison de goutes de feu, de mots simples, d'étonnement simple. Au matin, Paul était un enfant, hors d'âge. Il était à son tour une page, très ancienne, effacée, toute neuve, un palimpseste nu, épiphanique. P 74
Le thème est fort, profond et tout a été parfaitement étudié.
Les personnages sont bien construits. Elle maitrise parfaitement le sujet. On perçoit toujours son amour pour la nature dont elle parle si bien.
Note : 8,5/10
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