Ma fille Néfertari est l’unique trésor que j’aie rapporté d’Egypte. Et je suis terrifiée à l’idée de la perdre.
Dans la cuisine, je vérifie les fenêtres, la porte. Pareil dans le séjour. Tout est bouclé. Je m’arrête devant la chambre de Tari. Elle protège farouchement son intimité, désormais, mais sa porte ne ferme pas à clé, car je ne le permettrai jamais. Je dois être en mesure d’inspecter cette pièce, de m’assurer que ma fille ne risque rien.
J’ouvre le tiroir de ma table de chevet pour y prendre le pistolet. Il n’a aucune existence légale, et ce n’est pas sans appréhension que je conserve une arme à feu sous le toit familial. Quoi qu’il en soit, après six week-ends passés au stand de tir, je sais m’en servir.
Quand je ferme les yeux me reviennent les visions d’Egypte, immuablement.
A cette époque, je me sentais comme une actrice interprétant l’aventure d’une autre, pas la mienne.
Un demi-globe terrestre a beau me séparer du Sahara égyptien, tout me revient distinctement, dans la chambre obscure où je me tiens à présent. Quinze ans se sont écoulés depuis que j’ai arpenté ce désert, mais quand je ferme les yeux je m’y retrouve en un rien de temps, postée à la lisière du campement, regardant le jour disparaître à l’horizon, vers la frontière libyenne. Le vent gémissait comme une femme en dévalant l’oued. J’entends encore le choc sourd des pioches, le grattement des pelles. Je revois l’armée de terrassiers affairés comme des fourmis, hissant leurs immenses paniers d’osier remplis de sable sur le site des fouilles.
Son odeur plane, aussi reconnaissable que celle du sable brûlant, qu’un fumet d’épices ou que la sueur de cent hommes trimant sous le soleil.
Il vient me chercher, je le sens dans mes os.
Ah, comme les rêves virent vite au cauchemar ! Une étudiante heureuse avait pris cet avion pour Le Caire. Trois mois plus tard, devenue femme, je rentrais chez moi changée à jamais.
Je ne suis pas revenue seule du désert. Un monstre m’a suivie.
Soudain, j’ouvre les yeux dans le noir. Ces bruits, étaient-ce des pas ? Un grincement de porte ? Etendue sur mes draps détrempés, j’ai le cœur qui cogne. Je redoute autant de me lever que de rester allongée.
Quelque chose ne va pas.