Il s'arrête près d'un feu tricolore - son feu - sort la petite pancarte en carton griffonnée à la main. UN TRAVAIL OU QUELQUES EUROS POUR NE PAS MOURIR DE FAIM, SVP, MERCI.
Pour ne pas mourir tout court, devrait-il ajouter en post-scriptum. Tellement de choses qu'il aimerait écrire sur cette pancarte ; un véritable roman. Son histoire, simplement.
Mais qui prendrait la peine de la lire ?
UN SOURIRE, UN REGARD OU UN BONJOUR, POUR NE PAS MOURIR D’INDIFFÉRENCE, SVP, MERCI.
Voilà ce qu'il devrait marquer sur ce pitoyable morceau de carton.
L'été, ça ne révolte pas grand monde que les SDF dorment sur le trottoir. Mais quand les températures chutent, on déclenche les plans d'urgence à la hâte. Parce qu'un type - ou une nana - surgelé sur le pavé, ça la fout mal. Ça donne mauvaise conscience à ceux qui vont honnêtement gagner leur vie.
On compare parfois la cruauté de l'homme à celle des fauves, c'est faire injure à ces derniers. [ Dostroïevski ]
Il marche avec la nette impression d'aller à reculons. De s'enfoncer dans la mélancolie. Dans le néant.
Pourtant, dans ma chair, les souffrances maternelles sont gravées, tatouées en lettres de sang. Je les porte dans mes gènes, dans chaque parcelle de mon corps. Je les partage avec celle qui m'a donné la vie.
La douleur n'a pas de limites contrairement au bonheur.
...
Je me suis trompée ; douleur et bonheur ont tous les deux une même limité : la mort.
Devenir frères d'armes, ça tisse des liens. Lutter contre un ennemi commun, ça gomme les différences.
La solitude, oui. Sans doute le lot de tout être exceptionnel.
De celui qui s'élève au-dessus de la masse. De l'élite.
Lhomme est grégaire, il lui faut des attaches, des semblables ; autant de miroir dans lesquels se refléter, se mirer, s'admirer. Se mettre en valeur.
La douleur n'a pas de limite contrairement au bonheur. Je me suis trompée : douleur et bonheur ont tous les deux une même limite : la mort.