Désormais, plus personne ne parle, tout le monde le dévisage. Même la vendeuse de cigarettes s’est momifiée derrière son guichet. Jorge savoure pleinement ces quelques minutes surréalistes. Il a envie de les étrangler, mais jouit de la peur qu’il leur inspire. Il termine son café, attaque son croissant.
Mona a beau affirmer qu'il est mieux que les autres, Léonard a du mal à la croire. Ses camarades de classe disent qu'il lui manque des cases, qu'il n'est pas fini.
Ils disent la vérité, aucun doute.
Un jour, il a entendu un docteur confier à Mona que son fils souffrait de retard mental. Et même s'il regarde pendant des heures la pendule de la cuisine, il n'arrive pas à rattraper ce foutu retard.
Mon histoire c'est de la merde. Rien que de merde...
Puis il sourit et ajoute :
- Mais c'est normal, parce que c'est... ?
- Parce que c'est con la vie, conclut Léonard.
- C'est ça, John. C'est exactement ça.
Il ne sait pas grand-chose mais il sait la mort. Il l'a vue de prés le jour où Joseph s'est pendu dans le grange.
C'est laid et définitif, voilà ce qu'il sait.
Mais il se demande parfois si ce n'est pas aussi un chemin vers la liberté.
Tout au long du chemin qui le ramène chez lui, Léonard observe ce qui l'entoure. Les plantes, les arbres, les oiseaux, les insectes. Il aime tout ce qui n'est pas humain. Tout ce qui a des feuilles, des pétales, des pattes, des ailes, des écailles ou des plumes.