Un peu plus que la « première version » du célèbre « Hussard sur le toit » de
Giono, un éclairage alerte et cavalier en diable sur la genèse du jeune colonel turinois
Angelo Pardi, exilé en
Provence en 1840 après un duel anti-autrichien.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/01/24/note-de-lecture-
angelo-jean-
giono/
Le jeune
Angelo Pardi, colonel de hussards (à une époque, 1840, où les charges militaires s'achètent beaucoup et se méritent parfois un peu) du roi de Sardaigne, fils naturel de la prestigieuse duchesse Ezzia Pardi et redoutable escrimeur, vient de tuer en duel le baron Schwartz, un faux marchand et vrai espion à la solde de l'Autriche, et a donc dû quitter précipitamment Turin pour se mettre provisoirement au vert de l'autre côté de la frontière, en
Provence française.
Là, tout en échappant de son mieux aux éventuels questionnements de la part de la police locale, qu'elle soit maréchaussée ou sûreté nationale (même si le fameux Vidocq n'a jeté les bases de ce nouveau service que quinze ans plus tôt, il ne fait déjà pas très bon rôder par les chemins pour les étrangers louches et autres trublions potentiels, dans la France de Louis-Philippe), il fait la connaissance, au hasard du chemin et de la diligence, de la comtesse Pauline de Théus – dont il ne sait pas encore, naturellement, la place immense qu'elle tiendra plus tard dans sa vie, puis séjourne, en exilé et en proscrit néanmoins bien installé, à Aix-en-
Provence, où il perfectionne notamment son art de l'épée, tout en déjouant en y pensant à peine quelques intrigues délétères – car les menées et les conspirations font rage, feutrées ou non, ici aussi.
Paru en 1953 en plusieurs épisodes dans
La Nouvelle Revue Française, publié en volume en 1958 chez Gallimard, «
Angelo » est sans doute le roman le plus emblématique de la situation éditoriale particulièrement chahutée que connut
Jean-Giono dans les dix années ayant suivi la deuxième guerre mondiale, situation que nous évoquions déjà sur ce blog à propos de «
Un roi sans divertissement » (1947) – mais aussi de la puissante aura littéraire qui s'affirme comme la sienne au sortir de cette période troublée, car il n'est pas donné à tout le monde de pouvoir faire paraître une ébauche (fût-elle aussi sophistiquée que celle-ci), imaginée dès 1934, conçue et largement rédigée dès 1945, après la parution du « Hussard sur le toit » (1951) puis du « Bonheur fou » (1957), ces deux romans étroitement associés nous offrant la version définitive des personnages d'
Angelo Pardi et de Pauline de Théus.
Dans cette « genèse »,
Jean Giono lui-même, comme en attestent divers documents, publics (préfaces et postfaces de diverses éditions du « cycle du Hussard » notamment) ou privés (notes de travail et correspondances, que, fidèle son habitude, nous ouvre la remarquable édition conduite par
Robert Ricatte,
Pierre Citron et
Henri Godard dans La Pléiade), change plusieurs fois d'idées et de lignes de conduite – ce qui explique que ce séjour fondateur d'
Angelo Pardi ne se raccorde pas complètement, loin s'en faut, à ce qui se produira plus tard entre Manosque et Turin. Il n'en reste pas moins que ces deux personnages si essentiels pour l'auteur, et si fondamentaux pour les lectrices et les lecteurs, que sont
Angelo et Pauline bénéficient ici d'une attention extraordinaire, où la trame de leurs rapports spécifiques au monde et aux humains, à l'honneur et à l'amour, à la politique et à la société – au milieu d'une nature toujours discrètement omniprésente – est déjà palpable et déchiffrée. «
Angelo » est bien, ainsi, davantage qu'une ébauche, et déjà une forme redoutable de creuset.
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