C'est non sans difficulté que j'aborde ce qui paraîtra dans la catégorie ”critique” et que je qualifierai de commentaire comme souvent lorsqu'il s'agit d'oeuvres majeures, et d'auteurs incontestables comme
Jean Giono.
Car «
Un roi sans divertissement » est une oeuvre majeure, à plusieurs niveaux de lecture, ce qui le rend si difficile d'accès. le thème de ce récit est la descente progressive et inexorable, non pas aux enfers mais aux tréfonds de l'âme d'un homme pour qui la mort est devenu un venin.
Au coeur de la montagne du Dauphiné, les disparitions humaines s'enchaînent sans qu'on soit sûr qu'il s'agisse de crimes… Homme, animal, démon ? Qui en est l'auteur ?
C'est pour enquêter qu'arrive le gendarme Langlois, qui va s'imprégner de la vie de ces montagnards taiseux, vie terne et répétitive, sans loisir, sans répit, sans repos. Au terme d'une investigation plutôt hasardeuse au fil des saisons et surtout des hivers interminables, Langlois mettra la main sur le coupable, un autre montagnard dont le “seul” tort (?) était l'ennui, qui le poussait donc à enlever puis tuer ses victimes…
Plutôt que de livrer l'assassin à la justice qui de toutes manières le condamnera à mort, Langlois l'abat simplement, prétendant qu'il voulait s'enfuir. Une façon sans doute de lui faire payer cette traque exténuante. Fin de l'histoire ? Non, mais une introduction en quelque sorte.
Le capitaine Langlois reviendra quelque temps plus tard, démissionnaire de la gendarmerie mais auréolé d'un nouveau titre : lieutenant de louveterie. Ah, il faut le voir arpenter le village dans son bel uniforme, vouloir ci et ça, fréquenter les bistrots d'un côté, les dames de l'autre. Seulement vivre seul n'est pas une sinécure et l'ennui s'installe… Il lui faudra l'entregent de quelque personne du “sexe”, pour se trouver une femme, dévouée en tout mais pas bien futée pour le divertir. L'ennui gagne… Et malgré toute l'imagination dont il est capable, Langlois n'arrivera jamais à oublier cette mort qu'il a donnée gratuitement, pour le simple plaisir de tuer. le venin de l'ennui, de la mort, s'insinuera au coeur de l'être pour le terrasser un jour, à son corps “non” défendant.
D'où l'expression : un ennui mortel, sans doute !
Ce roman, en différents actes, un peu comme au théâtre, révèle pour ceux qui ne le connaissent pas assez (comme moi) l'immense talent de
Giono. Capable de magnifier la nature dans des récits comme «
Le Chant du Monde » ou l'humanité avec « Un de Baumugnes », il utilise toutes les ressources du vocabulaire français comme le provençal pour composer les plus belles pages de la littérature du XXe siècle. Ses nombreux écrits inspireront le cinéma, de
Marcel Pagnol à Jean-Paul Rappeneau, ou d'autres écrivains dont
Pierre Magnan qui lui rendra hommage, mais c'est une véritable gourmandise que de se plonger dans ces lignes où la nature fait plier l'homme, lui donne sans cesse des leçons d'humilité, et c'est non sans malice qu'il fut capable de “portraiturer” ses contemporains, du notable le plus arrogant, au paysan le plus roué !