J'avais déjà lu
Un roi sans divertissement de
Jean Giono, il y a quelques années, sans vraiment réussir à en comprendre toute la portée.
Récemment, j'ai eu l'occasion d'écouter son adaptation en feuilleton radiophonique sur
France Culture, ce qui m'a donné envie de le relire.
Au milieu du XIXème siècle, dans un village perdu du Vercors, des personnes disparaissent pendant l'hiver, deux années de suite : une jeune paysanne, puis un braconnier solitaire, un villageois sanguin. En marge, d'étranges évènements se produisent et frappent les imaginations populaires : mutilation d'un cochon, agression d'un villageois, traces de sang sur la neige… le dégel ne rend aucun cadavre
Un capitaine de gendarmerie, Langlois, est appelé en renfort mais son enquête ne donne rien. Il finit par en faire une affaire personnelle, revient passer ses congés et s'installe au café du village tenue par une femme au grand coeur que tout le monde appelle Saucisse à cause de son obésité.
Un nouveau meurtre, avec cadavre, scène de crime et témoin, celui-là.
Un personnage mystérieux : Monsieur V.
Jusque-là, nous suivons une sorte de thriller rural autour d'une enquête policière, puis le roman bascule dans l'étude des tourments intimes du personnage principal, Langlois.
J'ai retenu de beaux portraits de femmes, dont surtout celui de Saucisse, qui voue une belle amitié amoureuse à Langlois, des moments d'humour et d'ironie, d'émotion parfois, mais souvent une certaine absurdité qui a pu me laisser perplexe.
Langlois pose un regard étranger mais pragmatique sur ce qui l'entoure ; il se sent proche de la vérité sans pouvoir la toucher. Il a une manière bien à lui de prendre les choses en main, en marge des règlements. En effet, il décide de faire justice lui-même comme pour épargner au coupable les épreuves d'un procès parce qu'il a compris qu'il est surtout victime de sa condition humaine.
Tout le roman tourne autour du personnage de Langlois, même après la résolution des meurtres et sa démission de la gendarmerie. Sa « dégaine » fascine et intrigue ainsi que sa manière récurrente de traiter les crimes, ceux des hommes comme ceux des bêtes, ses propres pulsions aussi…
Car, dans la deuxième partie du roman, Langlois se sentira à son tour envahi par le désir de meurtre et développera une forme de fascination esthétique pour l'image du sang dans la neige ou les instruments liturgiques, tel l'encensoir. Rendu à la vie civile, il revient sur les lieux des crimes comme Commandant de louvèterie et mène une vie qui aiguise la curiosité des habitants, notamment par ses fréquentations : le procureur du roi, la châtelaine de Saint-Baudille ou encore la brodeuse, veuve de Monsieur V… On débat de la rivalité entre les femmes qui l'entourent, on parle du « bongalove » où il finit par s'installer avec celle qu'il épouse.
Les années passent, les gens vieillissent et évoluent mais continuent à s'interroger sur Langlois, même après sa mort, particulièrement spectaculaire.
L'écriture est alerte et captivante, dépouillée, dans un style plutôt oral ; la narration dépeint avec réalisme toute une ambiance villageoise, un isolement géographique dans une trame de polar rural, puis de vie montagnarde. le schéma narratif est complexe, polyphonique, entrecroisé, donnant la parole à tour de rôle à plusieurs protagonistes : un narrateur principal, des narrateurs secondaires, Saucisse, un groupe d'anciens... L'ensemble est réaliste et très visuel ; les lecteurs peuvent se projeter et s'imaginer partie prenante du récit, témoins directs de certaines des péripéties relatées.
Le thème général du roman porte un message pessimiste sur la nature humaine : tout être humain peut être tenté par le crime, non comme moyen d'obtenir quelque chose, mais pour le divertissement, pour le plaisir de tuer. Langlois cherche à comprendre les hommes, la « marche du monde » ; ainsi, certains passages sont moins captivants que d'autres, plus introspectifs, liés à la personnalité complexe de Langlois, pleins de détails et de digressions.
Ce qui avait commencé comme un polar rural prend peu à peu une tonalité philosophique, ce qui rend la lecture moins évidente, déconcertante. C'était annoncé dans le titre ;
Un roi sans divertissement renvoie à une citation des Pensées de Pascal : « qu'on laisse un roi tout seul sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans l'esprit, sans compagnies, penser à lui tout à loisir, et l'on verra qu'
un roi sans divertissement est un homme plein de misères ». Cependant, le parcours de Langlois n'est pas limpide, car il ne livre pas le fond de sa pensée ; seuls ses actes parlent pour lui où alors la métaphore du labyrinthe. de même, les différents narrateurs relatent des faits et n'en donnent pas vraiment d'interprétations tandis que le JE se perd dans le ON ou dans les NOUS et que la chronologie est souvent bousculée.
Jean Giono a écrit ce livre à un moment de sa carrière où il avait besoin de se renouveler un peu, d'explorer de nouvelles formes narratives, après des déboires éditoriaux et des remises en question personnelles suite à un séjour en prison, condamné pour antimilitarisme et sympathies communistes.
L'essentiel de ce roman a été écrit en quelques semaines à la fin de l'été 1945 ou 1946 (mes sources diffèrent) dans une petite ferme à une vingtaine de kilomètres de Manosque. C'est là que l'auteur a vu le fameux hêtre rouge qu'il a transposé dans son récit.
Jean Giono est-il le narrateur principal de ce livre, celui qui englobe tous les récits dans le sien ? Jusqu'à quel point est-il investi dans son récit ?
Un roi sans divertissement demeure pour moi une lecture un peu difficile, parfois même un peu ennuyeuse, mais toujours intéressante : un livre à aborder en ayant à l'esprit l'abondante littérature critique qu'il a suscité.
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