... en retrait du monde et du temps.
« Ils font l’amour en cachette. Et ils ne mangent que si Mathilde est là. Odile et Paulot sont des enfants. Ça l’attendrit. Ça l’horrifie. » (p. 174)
« À ceux qui lui diront, plus tard, quand tout sera fini, tu aurais dû demander, petite, elle rétorquera : vous auriez dû voir. » (p. 152)
En 1952 pour le sana,ils l'avaient ,l'assurance privée.Après ils n'ont plus eu l'argent pour la cotisation.Ils ont cessé de payer.,ont attendu des jours meilleurs.
On pourrait rire, vu de 2012, de cette joie intense qui saisit Mathilde à l'instant où elle déplie la fiche de paie, lisant et relisant ces deux chiffres à virgule qui changent toute sa vie, tandis que les mains de son père pèlent à cause des antibiotiques et que de grosses cavernes s'ouvrent dans ses poumons. C'est le plus beau jour c'est certain. Plus tard d'autres joies viendront en concurrence mais aucune n'altèrera, rétrospectivement, l'intensité du jour radieux de la première cotisation à la Sécurité Sociale : elle tient à distance les spectres de la mort et de la dépendance.
Mademoiselle personne. Être personne. Reliée à rien. Ni la soeur de jacques, ni la fille de Paulot et Odile, ni la stagiaire de bureau, ni l'élève du lycée, ni la gosse de tubard, ni l'endettée, ni la voleuse d’œufs, ni la pique-assiette, ni la mendiante, ni la chef de famille, ni l'amoureuse larguée, ni l'amie d'une folle, ni la suicidaire râtée, ni le reine de la Roche, s'alléger de toute histoire, de tout devoir. Être une termite aux longues ailes blanches, se couler dans la file sinueuse qui reproduit d'instinct le mouvement archaïque et fractionne la charge de tous en parcelles minuscules, exactement ajustées aux capacités de chacun, et te délivre de toute mission trop vaste pour toi seule.
Le ventre d'Annie. Il tient la distance de toute contrainte autre que lui, arme, armure, frontière, rempart, abri. Annie est intouchable car elle va être mère. Son ventre est une permission de repli supplémentaire contre laquelle tout reproche se fracasse. La grossesse est une île.
L'éternité commence dans les arbres. Là-bas dans l'ombre, sous le châtaignier, le père et l'arbre se confondent, gris et muets ; ils ont des racines profondes, ils sont vieux et ne meurent jamais.
L'ennui est pire que la douleur, il n'existe pas de remède chimique à l'ennui.
Parce que, contrairement à la mièvre métaphore bucolique d’un romancier que Mathilde lira un jour, la tuberculose n’a pas la grâce, la fragilité, la délicatesse du nénuphar, nulle fleur d’eau ne pousse dans le poumon de Paulot comme celui de Chloé chez Boris Vian.