Émancipée de quoi? De quelle légèreté? Laisse tes parents être des parents. L'enfant, c'est toi, c'est toi qu'il faut protéger.
Il faut les voir entendre ça, Odile et Paulot, assis sur les chaises en plastique trop larges pour leurs corps décharnés, le manteau encore mouillé de pluie. Les voir déduire mentalement les conséquences. Ils perçoivent le roulis des chariots de l'autre côté de la porte. Le crayon du médecin frappe le bureau. Ils sont sonnés. Même Mathilde se tait. Jacques fixe la pointe de ses chaussures. Plus de couple. Plus d'enfants. Plus de famille. Plus de travail. Plus de maison. C'est une dépossession totale. Jacques pense à Johnny Guitar : "Tout compte fait, de quoi a besoin un homme ? De tabac et d'une tasse de café."
"On est allés à l'enterrement au cimetière du village.Là-bas il y a un mur, d'un côté le cimetière des biens-portants, de l'autre le cimetière des tubards.Ils ont même peur de nous une fois morts."
Elle regarde la Seine grise miroiter derrière la fenêtre. Elle frissonne. Elle a voulu à toute force sa part du fleuve à chaque saison : la fraîcheur des baignades de juin, et les traversées l'été de rive à rive contre le courant, des poissons glissant entre les mollets, et les promenades le long de l'eau verte, l'automne, dans l'odeur de terre noire et de feuilles pourries, et les marches d'hiver sur la glace craquante. Elle a voulu, elle s'en souvient, après avoir quitté la veuve, son morceau de ciel, sa parcelle du royaume, elle était montée sur le mur écroulé du donjon de l'enfance et avait saisi du regard les bois vert sombre, les champs dorés. [...] Elle a tellement aimé le chant des mésanges dans les bois. Boire mille fois au bec de la fontaine.
L'éternité commence avec les arbres. Là-bas dans l'ombre, sous le châtaignier, le père et l'arbre se confondent, gris et muets; ils ont des racines profondes, ils sont vieux et ne meurent jamais. (p.28)
Le long de la route les fils électriques cousent un poteau à l'autre sans discontinuer.
p.180
La mémoire est une somme d'images vivantes et de fenêtres murées. p 118
Il a répondu : mieux vaut la liberté dans la pauvreté que la richesse dans l'esclavage.
Est-ce qu'on peut être libre sans argent ? Mathilde le sait la pauvreté est une prison.
Quand il penche la tête, les coudes sur la table pour jouer une mélopée triste; que, donnant à entendre sa solitude, il déborde son périmètre étroit, enveloppe dans son souffle sa femme, ses enfants; qu'il déploie note à note un territoire à partager entre eux hors la misère, la maladie, le chagrin, qui ont fait de la maison une île et ne suffisent plus à les tenir cimentés entre eux - ils deviennent des îles les uns pour les autres; quand Paulot souffle dans le Hohner, donc, et que la musique les atteint, chacun, Mathilde sait que leurs cœurs battent encore ensemble.
Ils ont tenu le bébé à plusieurs mètres des parents, un fichusur la bouche à cause des bacilles. Paulo et Odile ont soufflé des baisers à l enfant, et Odile à imaginé, évaluant les volumes de la toute petite fille, son poids, son épaisseur, sa tiédeur, la sensation de bercer le bébé interdit.(...), regarde ses petits pieds, regarde ses mains fripées, comme à travers la vitre d un parloir. (...). Nous ne sommes pas contagieux à insisté Odile, mais Annie à refusé le minuscule bonnet tricoté a Aincourt.