Luis de Gongora annonce, pour l'Espagne baroque du Siècle d'Or, notre Mallarmé : comme lui, il considère que la poésie doit s'éloigner le plus possible de la langue courante et de la prose littéraire, qu'elle doit se manifester comme poésie en réinventant la langue et en renouvelant les images que l'usage banalise. Cependant il n'écrit pas dans le seul but d'étonner, comme certains baroques du temps : pour lui, la poésie doit renouveler et rafraîchir le regard sur les choses les plus courantes, et dans les Solitudes, une noce paysanne, des jeux sportifs, une pêche, un repas, se métamorphosent en une magie fascinante par le jeu des périphrases, des métaphores, des allusions. La réalité est réfractée et recomposée par le travail créateur sur le langage. Il ne s'agit pas seulement de figures de style, ni seulement de vocabulaire, mais aussi de syntaxe : Gongora exploite cette capacité qu'a l'espagnol de faire entendre ses consonnes finales pour distordre la syntaxe naturelle de la langue et la rapprocher du latin, ce qui lui permet d'associer, comme en latin, des mots que leur voisinage fait résonner en significations inattendues.
Il n'est donc pas très facile de lire Gongora, qu'on soit français ou espagnol. le lecteur français aura recours à l'édition Castalia augmentée des commentaires mot à mot indispensables de Robert Jammes. Il aura aussi besoin d'une traduction pour construire patiemment le sens et la jouissance poétiques.
Commenter  J’apprécie         123
Soledad I,, vers 34-41, le jeune naufragé fait sécher ses vêtements au soleil. Passage admiré et commenté par Lorca.
Desnudo el joven, cuanto ya el vestido
océano ha bebido
restituir le hace a las arenas,
y al Sol lo extiende luego,
que, lamiéndolo apenas
su dulce lengua de templado fuego,
lento lo embiste y con süave estilo
la menor onda chupa el menor hilo.
Nu le jeune homme, tout ce que d'Océan
absorba son habit
aux sables il le fait restituer,
puis au soleil l'étend,
qui, le léchant à peine
avec sa douce langue de feu tiède,
l'assaille lentement, et sans violence
suce la dernière onde au dernier fil.
(Traduction Robert Jammes).
Luis de GÓNGORA y ARGOTE – Une Vie, une Œuvre : le triomphe du baroque (France Culture, 1986)
Émission "Une Vie, une Œuvre », par Hubert Juin, diffusée le 27 mars 1986 sur France Culture. Invités : Philippe Sollers, Philippe Jacottet, Bernard Sesé, Severo Sarduy, Claude Esteban, Gregorio Manzur.