L'usine Berga a fermé au début des années 80. L'époque, du plein emploi et des luttes syndicales, est révolu à Wollaing. Depuis le chômage laisse sa peine s'écouler dans cette petite ville du Nord. Mais le passé est lourd. Quand le docteur Vanderbeken soigne gratuitement certains patients, des organismes de crédit sans scrupule, les prêteurs sur gages véreux, fleurissent pour couler définitivement les habitants qui n'ont pas cédés au trafic de drogue, et survivent grâce à des petits boulots « au noir ». La précarité est flagrante. Ceux qui ne peuvent plus rembourser doivent faire face à Freddie Wallet qui recouvre les impayés. Dans ce Nord exsangue, où les parents n'ont plus d'autres avenirs que leurs souvenirs, et où les enfants n'ont que peu d'espoir, une jeune toxicomane Pauline Leroy est assassinée. Wallet est le coupable désigné. Ce salaud doit payer. L'enquête du commandant Erik Buchmeyer et le lieutenant Saliha Bouazem va s'ouvrir sur des décennies de rancoeurs. Depuis l'Indochine, l'Algérie à la fermeture de Berga, tous les salauds doivent payer à un moment. L'heure de l'addition a sonné.
Emmanuel Grand était attendu pour ce second roman. Il y dessine, sous couvert de vengeance, un polar sombre qui se fige dans des fondations aussi passionnantes et dramatiques. Il y retrace, à travers des allers-retours entre présent et passé, ce début des années 80 où toute une région a été mise à mal.
Emmanuel Grand ne tombe pas dans la facilité. Il sait que la faute est partagée entre une population qui ne voulait pas laisser fuir ses acquis, un patronat qui se jouait des aides publiques et ceux qui profitaient de la misère des autres pour s'en sortir. Surtout, il campe son roman sous de longues descriptions de la région, des souvenirs de luttes syndicales, ceux des déchirements familiaux et emballe le tout dans une écriture efficace. Il creuse le sillon d'une intrigue forte, bercé par une véritable ambiance de roman noir. Oui ce roman se mérite, il faut passer par les quelques pages sur les guerres, d'Indochine et d'Algérie, pour atteindre le coeur du roman. Car c'est là qu'
Emmanuel Grand vous ficelle. Une fois là, vous serez comme moi, entraînés par le cadre dramatique, et séduit par le côté polar digne d'un Doulos ou d'un Sur les quais.
Les salauds devront payer, présente son lot de personnages, principaux et secondaires, sur deux générations, où même Wollaing prend forme sous les yeux du lecteur. Elle n'est pas la petite ville aussi tranquille que les habitants aimeraient le croire. Démêler le vrai du faux, c'est faire face aux souvenirs, rouvrir des plaies. Chaque famille a ses fantômes, bien souvent enfouis dans le plus perdu des tiroirs. Buchmeyer, qui a tout du bon flic taciturne et ayant du flair, ne peut se résoudre au cliché qu'on lui offre. Une junkie morte pour une raison trop simple. le fait de lui adjoindre Saliha, génère un duo d'enquêteurs complémentaire, qui oscillent entre doutes et certitudes – autant sur leur métier que sur leur enquête. Pour découvrir la vérité, ils devront secouer les mémoires. Cela confère à ce roman une douce et froide aura, autant émouvante qu'éprouvante. le doute des flics va de pair avec la culpabilité induite des coupables désignés.
Les salauds devront payer, c'est un coup de maître avec des dialogues sobres et des rebondissements qui relancent l'enquête. Ce fut pour moi un régal de lire ce roman qui dans une certaine forme n'est pas sans renvoyer au
Marseille de
JC Izzo.
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