La mort de notre chien avait été l'occasion d'un nouveau retournement : je venais de délivrer mon père de son secret.
Délivré du fardeau qui pesait sur mes épaules j'en avais fait une force.
La tâche jaune les désignait au regard des autres mais leur permettait aussi de se reconnaître, soudant une communauté qui, à force de se dissimuler, s'était parfois ignorée.
Aussi longtemps que possible, j'avais retardé le moment de savoir: je m'écorchais aux barbelés d'un enclos de silence.
En équilibre sur le fil que Louise venait de tendre, les mains serrées sur le balancier, j'ai regardé loin devant moi, l’œil fixé sur la fin de son récit.
Mon père s'attendrissait lorsqu'il serrait son chien noir et blanc contre sa poitrine. Il emmenait Echo en promenade au bois, jouait avec lui comme avec un enfant, le lâchait le dimanche sur les pelouses du stade, roulait avec lui dans l'herbe.
Un jour enfin je n'ai plus été seul. J'avais tenu à accompagner ma mère dans la chambre de service, où elle voulait faire un peu de changement. Je découvris sous les toits cette pièce inconnue, son odeur de renfermé, ses meubles bancals, ses empilements de valises aux serrures rouillées. Elle avait soulevé le couvercle d'une malle dans laquelle elle pensait trouver des magazines de mode qui publiaient autrefois ses dessins. Elle avait eu un sursaut en y découvrant le petit chien aux yeux de bakélite qui dormait là, couché sur une pile de couverture. La peluche râpée, le museaux poussiéreux, il était vêtu d'un manteau de tricot. Je m'en étais aussitôt emparé et l'avait serré contre ma poitrine, mais j'avais dû renoncer à l'emporter dans ma chambre, sensible au malaise de ma mère qui m'incitait à le remettre à sa place. La nuit qui a suivi je pressais pour la première fois ma joue contre la poitrine d'un frère. Il venait de faire son entrée dans ma vie, je n'allais plus le quitter.
Maxime occupe ses pensées plus qu'elle ne le voudrait. Elle a beau lutter, son image la poursuit, image troublante d'un homme qu'elle n'aime pas.
Je tentais d'imaginer les sentiments de ma mère face à la nouvelle: l'ennemi dont elle avait fui la menace devenait un allié, balayant le seul obstacle qui se dressait entre elle et mon père. Tout devenait possible, si Hannah et Simon ne devaient pas revenir.
sacrifiant son enfant et sa propre vie sur l’autel de son amour blessé