Pauvre bûcheron et pauvre bûcheronne vivent dans la forêt profonde. Tout autour, la guerre. Tandis que l'homme travaille pour le régime, la femme s'efforce de trouver quelque nourriture. Mais, comme il n'y en a pas, pleine d'espoir, elle va chaque jour contempler le train qui traverse leur domaine. Car c'est un train de marchandises. Et, qui sait, un jour de chance, peut-être l'une d'elles se détachera-t-elle et viendra-t-elle améliorer leur quotidien ? Et en effet, un beau jour, c'est ce qui se passe. Un paquet enveloppé dans un châle brodé et lancé par une main anonyme atterrit aux pieds de la femme.
Si le nom de
Jean-Claude Grumberg ne m'est pas inconnu, je n'ai pourtant encore rien lu de lui. Je l'entends parler de sa dernière oeuvre et il me donne envie de la découvrir. L'auteur dit quelques mots de sa famille, raflée sous ses yeux en 1942, alors qu'il n'avait que trois ans. Son père est emmené à Drancy, puis à Auschwitz par le tristement célèbre convoi n°49, dont il parlera dans cette histoire. Mais quoi ? Encore un livre sur la guerre, les camps, la Shoah ? N'en a-t-on pas déjà lu des milliers ? Peut-être, mais pas comme celui-ci, car
Jean-Claude Grumberg a choisi le conte. Quelque chose de beau, tendre, merveilleux, donc ? Eh bien non, car les contes sont remplis d'ogres, de sorcières, de maléfices. D'emblée, on est surpris par le ton ironique : « Il était une fois, dans un grand bois, une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron. Non, non, non, non, rassurez-vous, ce n'est pas "Le petit Poucet" ! Pas du tout. Moi-même, tout comme vous, je déteste cette histoire ridicule. Où et quand a-t-on vu des parents abandonner leurs enfants faute de pouvoir les nourrir ? Allons... »
Il met en parallèle deux familles. D'un côté, dans ce bois, pauvre bûcheron et sa femme, sans enfants, illettrés, obligés, pour lui de servir les occupants, pour elle de s'échiner à dénicher de quoi ne pas mourir de faim. Ils n'ont pas de nom. Les lieux non plus. Mais dans ce pays glacé, traversé par les sinistres convois, il n'est pas difficile de reconnaître la Pologne.
De l'autre côté, des gens aisés. Lui est étudiant en médecine à Paris. Ils sont inconscients de la gravité de la situation pour des juifs comme eux. Enfin, des « sans coeur », comme on les appelle. Aussi, quand ils apprennent qu'ils vont avoir des jumeaux, ils se demandent si c'est bien le moment de mettre au monde « deux enfants juifs d'un coup ». Pourtant, en dépit de toute logique, ils décident de les garder. Lors de l'accouchement dans une clinique discrète, on leur suggère de laisser les petits et de « les confier à une famille sûre ». Alors, la mère se récrie : « Quelle famille pour eux peut être plus sûre que celle composée de leur propre père et de leur propre mère ? »
Le lecteur va alors suivre ce convoi 49 qui avait emporté les parents de l'auteur, et le destin de ce couple, comme eux enfermé à Drancy, puis envoyé à Auschwitz. En même temps, il découvre la misérable vie de nos deux bûcherons, qui regardent passer ces trains de marchandises, mot qui fait rêver la pauvre femme et explique le titre de l'opuscule. Car, en une centaine de pages seulement,
Jean-Claude Grumberg nous a conté le destin de ces deux familles et a résumé les moments marquants de la Deuxième Guerre mondiale, symbolisés à travers des métaphores transparentes, comme ces belligérants nommés « verts-de-gris » ou « rouges », par exemple.
Le tour de force est d'avoir écrit une histoire triste, évidemment, mais qui place à l'avant-plan la force de l'amour qui triomphe de l'adversité.
Une belle leçon à consommer sans modération et à tout âge.