Le sang des bêtes

[...] le secret d'un couple qui dure c'est un couple qui n'a pas assez d'énergie pour se disputer et surtout, qui est trop paresseux pour se séparer.

Tom s'endormit. Un sommeil inconfortable, ratatiné sur le canapé trop petit. C'était le sommeil fragile que l'on a lorsqu'on n'est pas chez soi, un sommeil charpenté de sensations confuses et de rêves ne laissant derrière eux que des ruines.
(p. 152)

Même si parfois la vie est difficile pour vous, vous n’avez aucune idée de ce que c’est que la sensation d’être un animal dans le monde des humains.

C'est lorsque je soulève des choses lourdes que je suis la plus heureuse d'être ce que je suis. Je ne sais pas expliquer pourquoi. Peut-être parce que c'est un moment où je me sens en vie, c'est merveilleux, vous savez, la vie. Toutes les vies sont des merveilles. Cela dit, je ne crois pas être particulièrement forte. Je ne le suis que comparativement aux humains qui sont physiquement faibles. Par rapport aux animaux, vous n'avez pas beaucoup de force. Même les petits animaux sont plus forts que vous : un canard, un chat, un lapin... Ils sont tous plus forts qu'un humain. Si un lièvre un castor ou bien une fouine ou une belette voulait vous faire du mal, il y parviendrait sans difficulté. Et les grands animaux comme les vaches ont une puissance énorme par rapport à vous. Le monde est rempli de créatures qui pourraient vous détruire en un instant : les singes, les requins, les kangourous. Vous êtes tous si faibles que, pour vous, le monde est un endroit dangereux et effrayant. Vous avez développé une technologie qui vous a permis de tout détruire. Ca vous a rassurés de faire ça. Aujourd'hui, vous ne laissez vivre que les animaux qui vous amusent ou qui vous nourrissent. C'est à la fois terriblement égoïste mais surtout très lâche !

s'il avait été beau, s'il avait été viril, s'il avait ressemblé à un bodybuilder autrichien, tout aurait été différent : la vie est plus simple pour les beaux de la même manière qu'elle est plus simple pour les riches.

Tom comprit alors qu'il était furieux et, l'instant d'après, il se rendit compte que derrière cette colère, se cachait d'autres choses que sa réaction au scepticisme de Mathilde. Ce qui le mettait en colère, ce n'était pas seulement le doute de sa femme quant à la nature d'N7A, cette colère traduisait un sentiment d'impuissance face au cours de sa vie, cette colère naissait comme une fleur ténébreuse sur des amertumes si lointaines qu'elles avaient perdu leur objet mais pas leur force, cette colère s'épanouissait sur une quantité de reproches qui avaient sédimenté dans son esprit pendant des années, cette colère se renforçait sur e fait clair et terrifiant qu'il n'aimait pas l'homme qu'il était devenu et sur l'idée, plus terrifiante encore, qu'il n'était pas certain qu'il puisse en devenir un autre.

Faire défiler son fil Instagram, son fil Facebook, son fil Tweetter, se perdre sur YouTbe n’était pas une activité intéressante en soi, c'était une façon comme une autre de s'ennuyer.

Tom avait conclu que le secret d’un couple qui dure c’est un couple qui n’a pas assez d’énergie pour se disputer et surtout, qui est trop paresseux pour se séparer.

Cet homme avait le corps le plus fantastique qu’il ait vu dans sa vie : un mètre quatre-vingts, cent trente-quatre kilos de muscles, des biceps aussi épais que des dindes de Noël, une poitrine aussi large qu’une petite Volkswagen et des cuisses aussi amples et noueuses que des troncs de séquoia.

Il faisait simplement défiler son fil Instagram […].
En fait, plus rien ne l’intéressait vraiment.
S’il regardait encore tout ça, c’était par habitude. C’était parce qu’il ne savait pas très bien ce qu’il aurait pu faire d’autre.
Tom trouvait que c’était une sensation étrange de ne plus s’intéresser à rien, c’était comme si une partie de lui-même n’était tout simplement plus là.
C’était comme une prémisse de la mort.
C’était un peu effrayant.