J'ai débuté ce livre sans réellement savoir à quoi m'attendre, mis à part le fait qu'il s'agissait d'une histoire abordant le sujet difficile de l'esclavage. Ce n'est, ainsi, que tardivement au cours de ma lecture que j'ai réalisé qu'il s'agissait de l'histoire familiale de l'auteur,
Alex Haley, lequel est remonté à ses
racines, six générations plus tôt.
Ce livre-fleuve est donc divisé en plusieurs parties dont la première débute à Djouffouré en Gambie. Là, on y découvre l'enfance et l'adolescence de Kunta Kinté, l'ainé d'une famille de quatre enfants. La vie y est douce et simple pour Kunta, petit garçon intrépide qui rêve d'être un homme valeureux comme son père, Omoro, qu'il aime et respecte tant. le village de Djouffouré est riche de ses traditions et de ses croyances. L'enfance de Kunta y est bercée par les histoires de grand-mère Yaïssa et de Nyo Boto (la doyenne du village), par le chant du tambour et par les pluies libératrices qui annoncent la saison des récoltes.
Au fil des descriptions de l'auteur on imagine sans mal les pirogues des femmes de Djouffouré se rendre chaque matin dans les rizières en naviguant langoureusement sur le Kambi Bolongo peuplé de sa faune exubérante. le contraste en est d'autant plus rude lorsque, brusquement, Kunta est arraché aux siens pour être vendu aux "Toubabs" , les Blancs.
De l'horrible traversée enchaîné à bord du bateau négrier à sa vie sur les plantations au sein desquelles il est successivement vendu, on suit son parcours avec révolte et émotion. de Kunta à
Alex Haley, le chemin est long et les embuches nombreuses.
C'est incontestablement la partie consacrée à Kunta qui est la plus fournie. Logique quand on sait qu'il s'agit de l'Ancêtre par lequel tout a commencé. le titre du livre est d'ailleurs très bien choisi, faisant – selon moi – référence à l'arbre généalogique d'
Alex Haley, mais aussi à l'arbre sacré d'Afrique : le séculaire baobab dans le tronc duquel les griots (ces porteurs de la mémoire des clans africains) sont enterrés.
Tandis qu'avec Kunta, la fierté d'être un homme noir portant ses propres croyances et traditions est prégnante, cette glorieuse flamme se tarit avec le temps. de génération en génération, les membres de la famille – n'ayant jamais connu la liberté – sont réduits à leur condition d'esclave. On assiste également à une perte de mémoire sur cette Afrique et cet ancêtre commun, dont le nom finira même par être déformé. C'est
Alex Haley qui se charge de combler les vides grâce à cet ouvrage.
On ne va pas se le cacher, certains passages sont extrêmement éprouvants (les conditions de survie dans la cale du bateau à destination des Etats-Unis m'ont tout particulièrement traumatisée).
S'il met nos nerfs à rude épreuve, «
Racines » n'en est pas moins nécessaire. Nécessaire pour se souvenir de la cruauté de l'espèce humaine. Nécessaire pour s'interroger sur le racisme sous toutes ses formes (même les plus insidieuses). Et nécessaire pour comprendre la quête d'identité à laquelle sont soumises les populations noires et métissées des Antilles et d'Amérique.
Evidemment, on déteste tous ces maîtres et maîtresses, ces petits propriétaires, régisseurs, shérifs et ce système qui profite sans vergogne du commerce triangulaire tout en souhaitant s'en laver les mains. Cependant, tout n'est pas si clair, et on se pose parfois, également, quelques questions sur les personnages que l'on apprécie davantage.
Le style adopté par l'auteur sert assez bien le récit :
- on alterne brusquement d'une personne à l'autre (à la façon dont les membres d'une même famille sont soudainement séparés au bon vouloir des maîtres) ;
- une scène pastorale est suivie d'une autre d'une terrible violence physique et psychologique ;
- les répétitions font échos aux inlassables tâches des esclaves dont les seuls plaisirs sont la messe dominicale et les bribes d'actualité chipées à travers les portes closes des grandes maisons.
Comme je vous le disais «
Racines » est nécessaire mais pas parfait. Je peux ainsi déplorer de nombreuses longueurs au cours de ce livre de près de 800 pages tout de même. On est parfois confrontés à la vie quotidienne des personnages dans ses moindres détails et, soudainement, face à une ellipse temporelle de trois à cinq ans.
Autre point plus ou moins négatif : les bribes d'informations historiques qui sont disséminées dans le livre sans, pour autant, être approfondies. Ces dernières permettent à un lectorat non-américain d'appréhender grossièrement les évènements qui mènent à la Guerre de Sécession. J'aurais, toutefois, apprécié ne serait-ce qu'une frise chronologique ou quelques notes à la fin du livre.
Alex Haley présente un travail titanesque : il aurait passé de nombreuses années cloîtré dans des bibliothèques aux Etats-Unis, en Angleterre, puis en Afrique pour retrouver la trace de son ancêtre et être en mesure de retisser le lien. Travail qui, je me dois cependant de le rappeler, a été entaché par des passages plagiés sur l'oeuvre de l'auteur
Harold Courlander. Je n'en ai appris l'ampleur qu'à la fin de ma lecture ce qui me laisse nécessairement un goût amer. Ceci étant dit, je dois reconnaître avoir été émue aux larmes par la fin du livre et je peux facilement comprendre l'impact de cette oeuvre littéraire sur plusieurs générations.
En bref : un livre puissant et bouleversant sur l'inhumanité de l'esclavage et l'identité noire américaine d'aujourd'hui. Je suis nécessairement très déçue d'apprendre que divers passages ont été plagiés sur « The African » d'
Harold Courlander. Toutefois, «
Racines » relate une histoire dans l'Histoire qui est nécessaire, surtout quand on suit l'actualité mondiale.
Lien :
https://thecosmicsam.com