KEEP CALM AND CARRY ON *
David Niven et
Peter Ustinov... Voilà une tête d'affiche digne des plus grandes comédies britanniques des années 60-70 ! D'ailleurs, c'est sur le tournage du célèbre "
Mort sur le Nil" de John Guillermin, d'après l'oeuvre d'
Agatha Christie, que les deux compères se retrouvent après bien des années, au cours d'un rapide prologue plantant d'entrée de jeu les relations pleines de tendresse et d'humour décapant qui lient les deux acteurs... Et cela remonte à une mystérieuse "
Opération Copperhead", datant des années de guerre, à la fin de l'année 1943 pour être exact...
À cette époque, David Niven avait interrompu une carrière en plein boum pour s'engager dans les commandos afin de soutenir l'effort de guerre de son pays, devenant ainsi le lieutenant-colonel Niven... Quant à
Peter Ustinov, de onze années son cadet, il était devenu simple soldat, lui aussi chez les commandos, après un début de carrière théâtrale tant sur les planches qu'à l'écriture très prometteuse. L'un comme l'autre se retrouveront dans les services cinématographique de l'armée, où ils se rencontreront pour vivre cette étonnante, déroutante, fantastique, "so nonsense" aventure militaire de contre-espionnage parfaitement avérée, rocambolesque presque autant qu'oubliée.
Tandis qu'ils tournaient un film de propagande, The Way Ahead, destiné à renforcer le moral des troupes et à faire la promotion de l'armée de terre - moins populaire que la marine chez nos voisins britanniques -, le Colonel Dudley Clarke, chef de la désinformation, un type ayant «une vingtaine d'idées par jour, dont deux bonnes, mais personne ne savait lesquelles» parvint à convaincre rien moins que
Winston Churchill à trouver, engager puis former un sosie pour "jouer", en vrai, le rôle du grand et très populaire général anglais Bernard Law Montgomery plus couramment surnommé "Monty" ; de lâcher ce faux Field-Marshall dans la nature, l'envoyer vers l'Afrique du Nord via Gibraltar, où il devra disséminer quelques fausses informations afin de donner le change aux allemands et leur faire croire en la possibilité d'un débarquement dans le sud de la France... Nous ne sommes qu'à sept semaines du véritable débarquement en Normandie !
S'ensuit une aventure extravagante entremêlant amour - David Niven rencontrant une artiste en vue mais à la solde des nazis -, humour - pour l'occasion,
Jean Harambat dégomme à tout va et, pour ceux qui auront encore en mémoire la voix et l'humour si cinglant et pince sans rire de
Peter Ustinov, il faut bien admettre que les traits d'esprits que le dessinateur-scénariste lui attribuent font mouche à tous coups ! -, patriotisme - bien mesuré - historicité avérée mais très libre d'adaptation ainsi qu'un très bel hommage à ces artistes du cinéma et du théâtre de l'après-guerre (et même un peu avant pour David Niven). On ne pourra s'empêcher de reconnaître aussi, en ce duo aussi improbable que désopilant, un autre témoignage d'estime porté à un grand de la Bande-Dessinée franco-belge,
Edgar P. Jacobs, le plus "british" des créateurs belges et son fameux Blake et Mortimer. Inutile de préciser qui de nos deux compères acteurs se retrouve à faire le Capitaine
Francis Blake, qui le Professeur Philip Mortimer : leurs physiques, leurs attitudes si antagonistes et suggestifs ne laissent place à aucun doute.
L'histoire dépasse la fiction, affirme-t-on. On peut constater comme l'adage est exact à mieux envisager ce personnage d'autant plus improbable qu'il a réellement existé, répondant au nom de Clifton James, sujet de Sa Gracieuse Majesté originaire de Perth en Australie, et sosie presque parfait de Monty, n'était son terrible penchant pour la bouteille - Monty est strictement abstème -, son rythme de pompier de la cigarette - Monty ne fume rien - et a perdu un majeur dans la précédente guerre mondiale... Pour ne rien gâcher,
Jean Harambat le rend terriblement traqueur, particulièrement peu sûr de lui d'une manière plus générale, et assez mauvais acteur pour le reste. La tâche sera donc ardue à nos deux compères pour faire de cet homme-là l'un des généraux en chef les plus brillants de la Seconde Guerre Mondiale, ne serait-ce que pour un tour de piste !
Tenant bien plus de l'exercice de style humoristique que de la bande dessinée historique (même si l'essentiel y est strictement véridique), cette
Opération Copperhead atteint assurément les buts que son auteur s'était fixés : faire rire tout en délivrant une petite page d'histoire, embarquer son lecteur dans un récit hommage à deux grands du cinéma, à une époque, une nation qui sut tenir tête à l'horreur (incidemment l'on comprend aussi ce que dut être la vie de ces londoniens constamment sous la menace des bombes) et à quelques uns de ses grands hommes sous le prétexte ténu mais exact et bien ficelé du récit d'espionnage.
L'ensemble est servit par un dessin très dynamique, adaptation moderne d'une ligne claire légèrement anguleuse et relâchée, l'ensemble donnant à contempler une version décomplexée et tendrement goguenarde de l'Histoire. L'ensemble est agrémenté d'extraits des autobiographies de David Niven, de
Peter Ustinov et du sosie Clifton James qui viennent rompre, ici et là, le rythme trépident d'une narration pourtant très bien maîtrisée, ce que l'on peut parfois regretter, mais ajoutant toutefois sens et profondeur à l'ensemble. Un album des plus plaisants que les amateurs de cinéma de ces années-là ne pourront qu'apprécier, de même que les férus d'histoire ne se prenant pas trop au sérieux ainsi que, plus généralement, tout lecteur appréciant une bonne tranche de rire ! Idéal pour dérider la dinde à Noël !!!
* «Restez calme et continuez» était une affiche produite par le gouvernement britannique en 1939 au début de la Seconde Guerre mondiale, destinée à relever le moral de l'opinion publique britannique en cas d'invasion. [source : Wikipedia]