Citations sur Grand Maître (106)
Le prêtre détourna l’attention de Sunderson, car au mois d’août précédent on avait tenté d’inculper un ecclésiastique dont les lèvres seraient entrées en contact avec le pénis d’un garçon durant une baignade organisée par l’église ; mais quand Sunderson interrogea le garçon en présence de ses parents, ce dernier n’était absolument pas sûr que c’était le prêtre, car il y avait des dizaines d’autres nageurs et le garçon reconnut que ce contact sexuel s’était produit sous l’eau. Le père du gamin, frustré de voir s’envoler un procès juteux, avait quitté la pièce en claquant la porte. Assureur de son métier, c’était aussi un escroc notoire.
Le rapport quotidien adressé à son supérieur hiérarchique relevait de la simple routine, mais il s’agissait d’ordinaire d’une liste de suppositions non prouvées jusqu’au jour où l’on touchait le jackpot.
1. Encore remarqué que tous les couples de la secte ont des filles âgées de onze, douze, treize ans ou plus. À propos de la rumeur d’abus sexuels, Dwight met-il sur pied son élevage personnel ?
2. Tous les membres de la secte restent bouche cousue, mais ils sont intarissables sur les niveaux de développement spirituel qu’ils souhaitent atteindre.
3. Il faut que je trouve une femme de ménage pour nettoyer cette putain de maison de la cave au grenier.
4. J’ai peu de chances de résoudre cette affaire avant ma retraite, une sur mille, mais la curiosité me tient par les couilles. Historiquement, l’Amérique a toujours été bourrée de sectes, pourquoi ?
Sunderson ne s’intéressait nullement aux romans policiers, ces livres pour enfants qui égrenaient les recettes du chaos, mais il n’était guère évident de prouver qu’un délit quelconque eût été commis. Peu de citoyens comprenaient la trivialité du boulot d’un inspecteur dans cette région reculée et non urbaine – en ville, même si l’on faisait parfois appel à Sunderson pour résoudre une affaire délicate, la police s’occupait seule de ses propres délits affligeants. En tant qu’historien amateur, Sunderson avait un faible pour l’expression délicieuse d’Hannah Arendt, « la banalité du mal ».
Il ne savait pas avec certitude si G.M. était un criminel, au sens où il y aurait eu des preuves indiscutables contre lui. C’était son premier cas vraiment intéressant depuis des années. Tout avait commencé quand un homme était venu dans son jet privé de Bloomfield Hills jusqu’à Marquette pour montrer à Sunderson une feuille de papier prouvant un retrait de trente mille dollars sur le compte en banque de sa fille. Cette petite était la « reine » de l’enclave de G.M. Célibataire et blanche, elle avait vingt-cinq ans.
au cours des vacances de Thanksgiving quand il irait voir sa mère, âgée de quatre-vingt-sept ans, qui vivait dans un endroit nommé Green Valley, en Arizona. Sunderson ne savait quasiment pas se servir d’un ordinateur, mais Roxie, la secrétaire qu’il partageait avec d’autres policiers du bureau, avait cherché Green Valley sur Internet, et de fait cet endroit n’était guère verdoyant, surtout les montagnes beiges de déchets miniers situées à l’ouest de la résidence pour retraités.
Il était sur la piste d’un chef de secte aux noms multiples, soupçonné de pédophilie mais échappant à toute inculpation possible, car ni la mère ni la fillette âgée de douze ans n’acceptaient de lui parler.
Durant sa longue carrière bientôt terminée dans la police du Michigan il n’avait jamais rencontré un seul tueur sympathique. Son ex-femme, qui avait aimé jusqu’aux manifestations les plus crues de la nature, jugeait répréhensibles les sentiments de Sunderson envers le lac Supérieur, mais jamais une tante éplorée ne l’avait serrée très fort dans ses bras à un enterrement. Sa mère, dotée de deux fils et de deux filles, avait à peine eu la place d’accueillir Bobby, le frère infirme de Sunderson, après qu’il eut perdu un pied sur une voie de chemin de fer de l’usine de pâte à papier locale.
Il était né et avait grandi dans la bourgade portuaire de Munising ; deux parents à lui, des pêcheurs professionnels, avaient trouvé la mort sur ce lac au cours des années cinquante, plongeant toute la famille dans le désespoir et la tourmente. Le drame le plus terrible de l’histoire locale était le décès de deux cent quatre-vingts personnes en mer, entre Marquette et Sault Ste. Marie. Comment trouver un tueur sympathique ?
L’inspecteur Sunderson marchait à reculons sur la plage en jetant parfois un regard derrière lui pour s’assurer de ne pas trébucher sur un bout de bois. Le vent du nord-ouest soufflait sans doute à plus de cinquante nœuds, et le sable lui piquait le visage et lui brûlait les yeux. Il gelait à pierre fendre. Vers l’embouchure de la rivière, là où le puissant courant percutait de plein fouet les eaux du lac Supérieur, les vagues étaient énormes et chaotiques. Dans le vacarme assourdissant du vent et des vagues, Sunderson se rappela combien il détestait le lac Supérieur, sauf quand il en voyait des images séduisantes sur un calendrier.
Son ami Marion, un ancien marine, lui avait appris qu’un bon tireur embusqué en bout de piste pouvait très bien abattre un avion de ligne avec un seul chargeur d’AK-47 en visant la carlingue sous les pilotes, là où se trouvaient les ordinateurs constituant le cerveau de l’appareil. Sunderson avait connu de nombreux flics qui possédaient des armes illégales, entièrement automatiques, et il était bien difficile de prendre la loi au sérieux quand de tels propriétaires étaient eux-mêmes au service de la loi.