AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,84

sur 168 notes
5
9 avis
4
14 avis
3
8 avis
2
3 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Dans ce roman intitulé étrangement Peindre, pêcher et laisser mourir, Peter Heller nous entraîne aux États-Unis, dans l'état du Colorado. Jim Stegner est un peintre qui commence à vivre de son art. Ses productions ont désormais une bonne cote. Lorsqu'il ne peint pas, Jim pêche et lorsqu'il ne pêche pas, il ... philosophe. Ou bien pense à Alce sa fille regrettée, morte tragiquement il y a quelques années.
On pourrait penser qu'il est épicurien...
Alce lui manque, il ne cesse de se culpabiliser car à cette époque, Jim n'allait pas bien, buvait beaucoup, avait le sang chaud, était un poil bagarreur... Après la mort de sa fille, il y a eu le divorce... Jim a plongé et puis il est remonté à la surface...
Depuis ce drame, Jim est devenu sobre et côté peinture s'applique une discipline rigoureuse... Pêcher devient alors une magnifique digression à travers les roseaux et les joncs... Les berges des alentours sont des lieux inspirants pour tenter de se reconstruire.
La rencontre avec Sofia qui pose depuis peu pour lui est peut-être enfin une lumière qui s'allume dans son existence, un peu comme un phare dans l'océan, une boussole, ou tout simplement une relation apaisante et harmonieuse. Sa beauté sensuelle vient se couler dans Un océan de femmes, une toile de 121 x 96 cm que Jim est en train de peindre...
Jim semble avoir trouvé une paix intérieure, peindre, pêcher... Se pencher sur le bord d'une berge, écarter les herbes hautes comme on ouvre le rideau d'une fenêtre, guetter l'or des truites, au loin le paysage embrase les sauges et les églantiers... Sans doute la nature a posé de la douceur sur des blessures anciennes sans pour autant les refermer... J'ai aimé suivre Jim dans ces premières pages où la nature ressemble à un cocon, j'ai aimé respirer avec lui le crépuscule, le chant de la terre. Il y a une tendresse comme si chaque mouvement des bêtes, élans, faucons, chouettes, était habité par le souvenir d'Alce. Un gazouillis, un cri, une mélopée...
Et cette paix retrouvée dans la beauté qu'il contemple inspire son geste de peindre, donne un nouveau sens à son pouvoir de création. Oui c'est une paix retrouvée dans la beauté du monde, tandis que les seins de Sofia domine l'univers de Jim et lui font tourner un peu la tête...
Mais voilà que du jour au lendemain, Jim va basculer dans un engrenage irrémédiable. Il vient d'assister à une scène de cruauté inouïe : des braconniers immondes torturant une petite jument rouanne. le sang de Jim ne fait qu'un tour car il ne supporte pas l'injustice, la barbarie. Cet élan de compassion va transformer alors son quotidien dans une sorte de séisme, une course-poursuite s'ensuit où il devient une proie mouvante comme un animal traqué...
J'ai été pris dans cette tourmente. Et dans cette traque, c'est brusquement un autre univers qui s'ouvre dans le tréfonds de l'âme de Jim, comme quelque chose d'insondable, qui se révèle à lui, comme si les souvenirs douloureux et déchirants revenaient à la surface...
Ce roman est pour moi une très belle découverte avec de magnifiques thèmes autour de l'art, la nature, l'amour, le deuil, la vengeance, la mort ainsi qu'une histoire qui prend parfois l'allure d'un road-movie et où le héros met le doigt dans un engrenage irréversible.
C'est aussi une quête de sens où sa vie bascule brusquement dans une trajectoire où il lui semble perdre totalement le contrôle de son existence. Mais l'a-t-il seulement eu dans sa vie ?
J'ai adoré le personnage de Jim, empli d'aspérités et de contradictions et c'est ce qui me l'a rendu si attachant. J'ai aimé ses passions, sa violence intérieure, sa fragilité.
J'ai senti dès le début que sa relation avec Sofia était enfin une manière d'aborder le monde autrement. C'est une relation très sensuelle, avec quelque chose de fraternel en même temps.
Je me suis laissé séduire par une écriture très visuelle et poétique où la nature joue un rôle merveilleux, elle est un personnage à part entière et cela ne peut que me réjouir.
Cela m'a rappelé des récits de Jim Harrison, un autre Jim, un autre auteur américain que j'aime beaucoup et qui aime convoquer la nature et les grands espaces pour dire les émotions et les blessures de ces personnages.
Mais comment faut-il classer ce roman inclassable ? Nature writing ? Thriller ? Road movie ? Déambulation philosophique ? Impossible de le faire entrer dans une seule catégorie.
C'est un récit qui ressemble par moments à une odyssée dans les profondeurs de l'âme d'un homme meurtri, instable, qui se culpabilise. Dans son rapport à l'art et à la nature il y confronte sa douleur, il cherche dans ces paysages comme un écho, des réponses peut-être.
Et puis la tension du récit se crispe, le rythme a pris le pas dans des pages addictives qui prennent brusquement l'allure d'un thriller. Les berges ressemblent au bord de l'abîme. J'ai craint pour Jim. Sofia me manquait déjà, surtout pour lui... Je le savais en danger autant pour les menaces extérieures que pour les démons intérieurs qui pouvaient surgir de nouveau...
Dans cette fuite fulgurante, Jim prend le temps de nous inviter à poser un regard sur des peintures qui l'ont marquées. Je pense notamment à celle de Picasso qui l'avait touchée il y a quelques années à la Tate Modern de Londres, intitulée Femme nue dans un fauteuil rouge, représentant son amante d'alors âgée de dix-sept ans, Marie-Thérèse Walter. J'ai trouvé magnifiques et touchantes les descriptions qu'il en fait... Il évoque ainsi l'amour, la mort, le sacré, des paysages que l'existence traverse, le sens de la vie à un moment où la sienne bascule dans quelque chose d'insaisissable qui lui échappe furieusement.
Au-delà de l'action bien rythmée, j'ai aimé beaucoup le côté onirique du récit dans la manière qu'a le narrateur d'évoquer les animaux ou de décrire une toile ; la nature, l'art comme un trait d'union entre les vivants et les morts.
Vous l'aurez compris, ce livre atypique offre des variations multiples comme des vagues, des chemins parfois entrepris et restés inachevés. On pourrait s'y perdre, je me suis perdu d'ailleurs par moments, et c'est si beau de se perdre aussi. La richesse de ce récit est peut-être qu'il reste inachevé à certains endroits. Un peu comme nos vies d'ailleurs.
À quel moment accepte-t-on enfin de dire : « laisser mourir »... ?
Ce voyage et ses digressions valent le détour. Je retournerai bien ce soir me poser sur la berge d'une rivière et regarder le crépuscule respirer avec la dernière clameur des oiseaux et les mots de ce roman qui s'y mélangent.
Merci à Diana (DianaAuzou), Fanny (Fanny1980), HundredDreams (Sandrine), Nathalie (Romileon) pour cette belle lecture commune à cinq voix, nos échanges étaient très riches, complémentaires et ont permis d'éclairer de nouveaux angles d'approche.
Commenter  J’apprécie          6627
Après « La Constellation du chien », j'ai eu envie de retrouver la plume de Peter Heller avec « Peindre, pêcher et laisser mourir ».
Le deuxième roman de l'auteur entrelace habilement plusieurs genres littéraires : le roman noir, le polar, le thriller et le nature writing.

Jim Stegner est un artiste-peintre reconnu, passionné de pêche à la mouche. Impulsif, irréfléchi et bagarreur, père d'une adolescente dont la vie s'est terminée tragiquement, il tente de se reconstruire en laissant derrière lui les douleurs du passé.

« Il y a des rivières que vous aimez, voilà tout, et voir le panneau représentant la voie ferrée et la gorge escarpée m'a rappelé que nous pouvons avancer dans la vie aussi facilement d'amour en amour que de perte en perte. »

Hors, un après-midi, alors qu'il part pêcher, il est témoin d'une scène bouleversante extrêmement cruelle : un homme bat à mort une petite jument Rouanne.
Cette scène de maltraitance animale m'a serré le coeur, ma sensibilité et mon amour pour les animaux y sont pour beaucoup. Heureusement, l'auteur n'entre pas dans les détails, laissant la part belle à des émotions poignantes plutôt qu'à des descriptions crues et voyeuristes qui n'auraient rien apporté à l'histoire.

« le cheval, les yeux qui roulent, l'écume aux lèvres hurlantes, une hystérie, aiguë, plus qu'un geignement ou qu'un grognement, quelque chose de quasi humain. »

Ne pouvant rester insensible à cette violence gratuite et démesurée, il intervient. Mais le face à face entre les deux hommes va dégénérer et provoquer une réaction en chaîne incontrôlable.

*
Inévitablement, l'intrigue ne peut se passer d'un personnage principal fort, charismatique.
Peter Heller n'a pas son pareil pour donner vie à de beaux personnages qui ne soient ni lisses, ni parfaits grâce à une étude approfondie de leur caractère et de leur personnalité.

« Jamais je n'aurais cru que je deviendrais peintre. Que je pourrais créer un monde et y pénétrer pour m'y perdre. Que l'art serait une chose que je ne pourrais pas ne pas pratiquer. »

Jim Stegner, le personnage principal, est particulièrement sympathique malgré ses nombreux défauts.
Cet homme complexe revêt de multiples visages. Au fil du récit, sa personnalité s'enrichit de nouvelles nuances : sensible, solitaire, empathique, accablé par le remord et le chagrin, l'auteur donne l'occasion de révéler une autre facette de sa personnalité. Il excelle à retranscrire cette instabilité et ces basculements où Jim Stegner, en proie à des tensions internes importantes, est capable de devenir, suivant les circonstances, un homme irascible, implacable et extrêmement violent.

« La violence qui semblait me suivre à la trace frappait sans aucun discernement et s'attaquait à tout ce qui m'entourait : chevaux, amis, voisins. »

Son histoire personnelle entraine forcément la compassion et l'empathie à son égard. Malgré sa rudesse, sa violence intérieure, son impulsivité, il est impossible de le trouver antipathique et de ne pas s'attacher à cet homme au passé si douloureux.

*
Le récit est prenant grâce à une écriture remarquable, intense, très visuelle, « métamorphique », alternant une écriture lyrique, un registre de langue parlée intégrant des jurons, ou bien une écriture plus acérée, presque violente, intérieure ou exprimée.

Ainsi, l'écriture se pare d'une étonnante poésie, et, devant nos yeux, l'auteur devient un peintre paysagiste, exprimant, par la force des mots, des tableaux de ces grands espaces dont il restitue la beauté avec une facilité déconcertante.

« Voilà vers quoi se dirigeait mon coeur. Vers eux. Vers l'eau fraîche. Les sons légers de l'eau qui coule sur la roche, l'eau fluide sur la roche lisse, soudain perturbée par un rapide bouillonnant, mais tout aussi apaisant. Sous la lune, l'eau blanche serait en lambeaux dans l'obscurité, les étangs seraient noirs ou peut-être que leur noirceur accueillerait le reflet de la lune brillante, la truite invisible mais levant les yeux vers le radieux firmament. J'étais incapable de nommer ce sentiment que mon coeur éprouvait. »

Au coeur de ces étendues sauvages et préservées, ces pages sont comme des écrins de verdure, apportant un parfum de bonheur et de magie. Peter Heller nous enveloppe de sensations douces et apaisantes où la nature est reine. Les traits de pinceau de l'auteur caressent la toile, se faisant léger et minutieux pour peindre les vastes forêts parcourues de rivières, le murmure de l'eau, et la faune sauvage.

Et, l'instant d'après, on est brusquement ramené au centre de l'intrigue. Ces moments de quiétude et cette atmosphère de rêverie sont balayés en quelques coups de pinceau secs, énergiques et violents. La tension monte d'un coup et le récit nous surprend, prenant des chemins auxquels on ne s'attendait pas.

*
J'ai particulièrement aimé la façon dont les tableaux de l'artiste s'intègrent parfaitement à l'intrigue. Peter Heller a une magnifique prose pour décrire les peintures de Jim Stegner. Les descriptions sont si précises, éloquentes que l'on imagine aisément chacune d'entre eux.

L'auteur en profite également pour nous offrir une belle réflexion sur l'art et la création comme facteurs de résilience. La peinture devient une porte d'entrée dans son intimité. A travers son regard, l'art devient un moyen de survivre aux épreuves de l'existence, d'extérioriser le chagrin et la violence, de surmonter les traumatismes pour construire une vie qui a du sens.

On voit comment la vie personnelle de Jim Stegner, ses pensées, son esprit torturé, ses actes, son inconscient influent sur ces oeuvres et s'expriment dans ses tableaux. Tout au long de l'intrigue, le lecteur voit ses tableaux acquérir plus de profondeur, plus de noirceur et de mystère.

*
Vous l'aurez deviné, ce roman a de nombreuses qualités. Cependant, je n'ai pas été totalement séduite. Ce n'est bien sûr qu'un avis très personnel, mais, même si Peter Heller maintient la tension, j'ai été perturbée par le rythme du récit. Au lieu de monter progressivement en puissance, l'intrigue oscille, dessinant en alternance des moments calmes de peinture ou de pêche à la mouche, entrecoupés d'autres soudains, nerveux, violents, palpitants.

De plus, l'auteur se concentre essentiellement sur le personnage de Jim Stegner, explorant ses pensées, ses peurs, ses rêves, et ses sentiments. le récit, raconté à la première personne du singulier, fait valoir uniquement son point de vue, et l'on perçoit les personnages secondaires uniquement à travers son regard. Même si ce procédé est particulièrement intéressant, les autres acteurs sont finalement brossés assez grossièrement.

*
Roman singulier, « Peindre, pêcher et laisser mourir » est un roman de dualité, à la fois sombre et lumineux, paisible et emporté. Ici, la vie côtoie la mort, l'auteur capte ses instants incroyables de parties de pêche brusquement interrompues par la brutalité des hommes.
C'est un beau roman sur le deuil, la résilience, la rédemption, avec pour ligne de vie, l'art, la nature et la pêche.

Attiré par ce titre à la fois poétique et mystérieux, ce « laisser mourir » qui m'a interrogée jusqu'au dénouement, je ne regrette pas cette lecture, bien au contraire. Elle me donne même envie de découvrir "La rivière".

***
C'est avec plusieurs compagnons de lecture que j'ai entrepris ce voyage dans les immensités américaines, Diana (DianaAuzou), Fanny (Fanny1980), Nathalie (Romileon), et Bernard (Berni_29). Je les remercie pour ces échanges si enrichissants, ces lectures communes sont de belles expériences qui permettent de partager nos ressentis tout en découvrant de nouveaux aspects auxquels on n'avait pas prêté attention.
Commenter  J’apprécie          5035
Le titre nous dit tout de la vie de Jim Stegner : peindre, pêcher et laisser mourir.
A écouter sa voix parler de son Art, décrire ses oeuvres, ses déambulations le long des rivières, dans les rivières sa canne à la main, on imagine mal la violence intérieure, la colère rentrée qui n'attend qu'un incident pour exploser.
Cet incident, c'est Dellwood qui va le provoquer. Cette brute épaisse, dans tous les sens du terme, bat une petite jument, qui, sans l'intervention de Jim, serait morte sous les coups du bourrin braconnier.
L'engrenage vient de se mettre en place. Jim qui a soif de justice ne se contentera pas de lui mettre son poing dans la gueule et se trouvera exposé au désir de vengeance des proches de Dell.
Echapper aux méchants, échapper aux enquêteurs, échapper à ses tourments intimes, échapper à ses questionnements, le récit alterne entre poursuites sur routes ou rives et fuites intérieures pour oublier, s'oublier dans la peinture ou la pêche.
Si cette dernière est efficace, son Art révèle à ceux qui veulent bien voir les secrets de son psychisme qui mouline sans arrêt.
Raconté du point de vue de Jim, on pénètre dans la tête de cet homme complexe, torturé, blessé, tenté souvent d'abandonner mais toujours relevé par un sursaut vital, une détente semblable à celle d'une truite fario qu'il ferre pour mieux lui rendre sa liberté.
Le rythme du récit est comme le cours d'une rivière, c'est très troublant. Par moment les actions s'enchainent avec rapidité, puis le calme revient et parfois même lors de scènes sensément soutenues l'allure se brise par les rêvasseries de Jim qui semble pris dans les remous de son âme malheureuse.
Une fois de plus je suis séduite par un texte de Peter Heller qui bien que déclinant les mêmes thèmes : la nature apaisante et réconfortante et dont on sent qu'il en parle en connaisseur, le respect et l'amour des animaux, la pêche en rivière, il sait proposer à ses lecteurs d'autres problématiques avec ici une réflexion sur la peinture et le marché de l'Art, offrir des intrigues différentes et les mener de telle sorte qu'à 50 pages de la fin je ne savais toujours pas où il me menait.
Si ce n'est pas absolument un coup de coeur c'est peut être du à la multiplicité de thèmes abordés qui ne sont pas exactement aboutis. C'est sans doute une volonté de l'auteur mais je n'en suis pas certaine.
Cette lecture a été menée en Lecture Commune avec @ Fanny1980, @HundredDreams, @bernie-29 et @DianaAuzou que je remercie pour nos échanges riches, stimulants et fructueux.
Ma dernière remarque m'est venue suite à une intervention de Diana qui a probablement mis le doigt sur ce qui me retenait d'être absolument sous le charme.
Commenter  J’apprécie          3710
Merci à Berni_29 de m'avoir mentionné ce western des temps modernes. Des personnages hauts en couleur. Surtout Jim, le narrateur pêcheur, peintre et tueur comme le titre l'indique. Son caractère bien trempé s'est renforcé à l'assassinat de sa fille. Il va réagir violemment lorsque l'un des deux frères braconniers va martyriser une jument. Un point de vue intéressant sur l'art, psychologie raffinée avec les flics, une course poursuite digne du grand polar. Personnage très attachant. Veinarde Sofia !
Commenter  J’apprécie          338
CHALLENGE MULTI-DEFIS 2022
ITEM 45 - Deux verbes minimum dans le titre de ce LIVRE
Peindre, pêcher et laisser mourirPeter Heller****

Jim est peintre, passionné de pêche, amoureux de la nature, en fusion avec elle, mais les années passées après la mort de sa fille Alce n'ont pas réussi à adoucir sa souffrance, sa vie est un abyme de tourments une douloureuse et paradoxale autodestruction comme combat pour continuer le chemin. A cela la vie vient avec sa contribution de rencontres malheureuses où la mort se réjouit d'avoir le dernier mot.
Cheminement à l'intérieur et à l'extérieur et les carrefours voient se croiser plusieurs routes sans flèches sans orientation.

Les chapitres se succèdent comme un défilé ou une galerie de toiles. Plutôt un défilé car il entraîne un mouvement, un chemin à faire, continuer à mettre un pas devant l'autre, vers le passé d'où les souvenirs reviennent avec quelques portes fermées, vers l'avenir immobilisé dans un brouillard épais. Pour tenir debout l'équilibre est instable.

Premier chapitre, première toile choisie pour l'ouverture, elle s'appelle Destruction ! et fait partie de la collection de l'artiste. Ah ! Il garde la destruction, elle lui appartient.

Le combat que Jim mène avec lui-même est un fil rouge, loin d'être conducteur il égare et fait mal, mais la guerre contre les salops est bien réelle : « ...l'homme qui brandit la massue. L'homme beaucoup plus gros que le petit cheval. L'homme qui envoie le coup avec cette haine, tuer ou ne pas tuer, il s' en fout. » « … je n'ai jamais commis d'acte violent, mais là, je voudrais l'attacher à un poteau pour le fusiller. Comment est-ce qu'on devient comme ça ? Une telle ordure. » (p.70)
Une Iliade et une Odyssée en même temps, une guerre, pas pour conquérir mais pour punir et un retour vers soi-même en combat long douloureux épuisant.

Mais Jim n'est pas un guerrier, et c'est sa fille qui lui disait « Non, toi tu es dans la réaction. C'est pour ça que tu passes ton temps aux urgences » (p.3) Humour noir et sec sans pathos, les phrases sont courtes et les détails rares.

L'écriture rapide et rythmée, frappe et choque à chaque phrase, à chaque souvenir qui a laissé sa marque, sa plaie saignante ou sa cicatrice. le point final comme signe de ponctuation est presque brutal, il cogne, se digère mal, comme la tendresse après le fouet : « La jument hennit en me voyant venir vers elle. Ne bouge pas, mais tremble. Son dos est couvert de coupures, d'entailles… Elle est paralysée de terreur… Elle tressaille à l'approche de ma main mais ne s'écarte pas… La longe pend du licou… Je reste à côté d'elle et je respire. Ni elle ni moi ne bougeons. »( p. 40-41)

Lieux et gens, rencontres et découvertes, une scénographie sommaire, en coups de marteau ou en caresses de velours, elle crée des images saturées d'émotions autant bonnes que mauvaises : L'odeur âcre de la fumée et celle, douce, de la décomposition des feuilles. Je sentais mon passé. »

Irmina, la vieille amie, guérisseuse d'âme et de corps, le secoue le soutient le réconforte et éveille sa force affaiblie par des mots-images qui lui sont uniques et qui font le charme de la plume de Peter Heller : « Tu es une planète et tu possèdes une résonance magnétique… et une vitesse de rotation, et une force gravitationnelle, aussi. Tu possèdes une atmosphère ainsi qu'un noyau en fusion… D'autres ont un noyau qui refroidit. Tu connais des saisons et des marées, et une ou deux lunes te tourneront autour jusqu'à la fin de tes jours. »(p.50)

Il y a des points qui mettent fin à un paragraphe, un tableau vivant, un court moment, une émotion qui reste, une possible définition de la vie : « … le seul moyen pour moi de me poser : en restant mobile. L'unique moment où je pouvais m'oublier, oublier Alce. Je n'existait plus que pour ce combat avec le poisson. Et si je finissais par l'attraper et qu'il s'était battu comme un beau diable et qu'il était sublime, ce qui était toujours le cas, alors je le maintenais délicatement dans l'eau d'une main, et d'un mouvement de torsion, lui retirais l'hameçon de la bouche et le gardais encore un peu avec moi. Je le portais et le regardais qui restait là, la queue bougeant lentement tandis qu'il reprenait son souffle et des forces. Comme moi, pensais-je… Puis, après un contorsion, il m'échappait et se volatilisait, perdu dans l'ombre verte des pierres, et je disais merci. Merci de m'avoir laissé vivre une autre soirée. » (p.59)

Appels et réponses en retour, d'un vivant à l'autre, différents et proches, où l'amour et la haine se rencontrent et s'étonnent de pouvoir cohabiter, la vengeance ne peut pas réparer un passé, ne peut pas faire revenir ceux qui sont partis et ne peut non plus faire mourir certaines douleurs. Une guerre une vengeance et puis de nouveau une guerre, pas de fin possible, pas de vainqueur, ni d'irrémédiablement vaincus, des Jasons à la recherche de la Toison d'or, d'une guérison possible ? Ce point d'interrogation reste fort et droit sur ses pattes.

Les contradictions de la vie, les troubles qui en résultent pour mieux définir l'étrangeté de notre passage, le questionnement qu'on s'impose comme un auto harcèlement, encore plus impitoyable, trouvent souvent une échappatoire dans la création, celle qui s'exprime comme un besoin vital de faire sortir le trop plein.
Jim est peintre, il peint beaucoup et vite il a du succès, la peinture comme tentation d'équilibre ou effort de ne pas tomber, un silencieux combat avec soi-même. L'homme devant sa débâcle, qui cherche le visage de ce qui n'a pas de visage. Il cherche une lumière qu'on atteint parfois, mais on ne la garde pas dans sa poche, on la perd. Il faut à chaque fois se lancer à sa recherche. Il est sans défense, c'est sa force. Il cherche à comprendre, à savoir mais au final il ne sait pas.

Peter Heller donne le titre de son roman par trois verbes à l'infinitif qui, pour moi, dans ce cas précis, ont une résonance particulière, des infinitifs comme modes… de vie répétés à l'infini, création, mort et renaissance, en cycles sans fin. Tout prend fin pour que tout puisse recommencer. « De quoi avais-je peur ? Je ne saurais le dire. » (p.83) « S'il y a bien une chose dont on est sûr : la vie ne perd jamais de son étrangeté. » (p.79) Peur de tout savoir, et de ne pas savoir. La peur de se faire prendre par la police pour homicide développe chez Jim une avalanche de questions sur son existence, la raison de ses actes et les lourdes factures que la vie lui a imposées, à la limite de l'implosion. Sa seule force est sa faiblesse. Se maintenir en mouvement, peindre, pêcher, circulation entre deux créations la sienne et celle de la nature. Se figer serait fausser la vie, comme ne pas laisser mourir, car la vie c'est naître et mourir, vivre n'est pas seulement l'accepter mais l'embrasser. Souvent c'est difficile  et épuisant, souvent on ne peut pas, on ne peut plus !

La mise en page est une autre façon de créer une scénographie simple composant avec la respiration dans l'espace-temps, la pause le silence, le suspense de l'action et de l'interrogation intérieure. Cette émotion paralyse, bloque, arrête le temps, le moment dure, se dilate, se développe, s ‘allonge.
C'est aussi, peut être une façon de laisser à ses lecteurs le choix de continuer de s'arrêter de revenir en arrière ou de fermer le livre pour le reprendre une fois retrouvé le souffle.

Beaucoup de thèmes se croisent dans ce roman chacun demandant des larges développements à approfondir : le deuil, la culpabilité, l'amitié, la vengeance, le pardon, la nature. Cette extrême richesse risque de donner au roman une trop grande densité, le trop plein difficile à avaler, et en même temps une frustration du non accompli, mais c'est aussi ce qui arrive sur le plan d'eau de nos vies…

Fiction et vie, laquelle imite l'autre ?

Une belle et riche expérience de lecture commune avec Fanny (Fanny1980), Sandrine (HundredDreams), Nathalie (Romileon) et Bernard (berni_29). Merci à tous pour ces moments partagés.
Commenter  J’apprécie          3214
« Jamais je n'aurais imaginé qu'un jour, je tirerais sur un homme. Que je deviendrais père. Que je vivrais si loin de la mer. Enfant, on imagine parfois sa vie future, à quoi elle ressemblera. Jamais je n'aurais cru que je deviendrais peintre. Que je pourrais créer un monde et y pénétrer pour m'y perdre. Que l'art serait une chose que je ne pourrais pas ne pas pratiquer ».

J'aime qu'un incipit soit marquant, qu'il m'entraîne directement dans un rythme effréné, qu'il me donne envie de connaître le protagoniste, qu'il m'annonce déjà que ce dernier ne sera pas lisse, qu'il me projette dans le genre du roman et dans ses thématiques principales… Je me souviendrai de ces premières phrases de Peindre, pêcher et laisser mourir.

Jim aime peindre. Une vocation venue comme un choc, avec The Fog Warning, tableau de Winslow Homer, qui représente un pêcheur seul, dans la mer agitée, qui doit réduire la distance entre son canot et le navire au loin, sans quoi ce sera la mort assurée. Jim a décidé que pour tout ce qu'il ferait en tant qu'artiste, il tenterait « de le porter vers le vivant plutôt que de l'en éloigner. Même et surtout dans les tableaux les plus abstraits ». Jim, créateur autodidacte, fils de bûcheron, est un représentant de l'art outsider et provoque un dialogue, dans ses toiles, entre les personnes et des poissons, des gallinacés, ou tous autres représentants du règne animal.

Jim aime pêcher. La pêche s'oppose à la chasse, car les poissons sont souvent relâchés vivants, contrairement au gibier qui est tué. de plus, la pêche implique un mouvement permanent et non, comme la chasse, une traque avec de longues phases d'immobilité. Jim est un héros de Nature Writing, qui sait survivre dans le monde sauvage animal mais aussi parmi les hommes.

Après avoir posé ce décor, dans cette histoire, la notion de « laisser mourir » ou de s'y opposer tient également une place importante. Quelle est la valeur d'une vie ? « Cela se résumait à sauter et mourir ou à vivre et être hanté par cette aptitude à choisir. Ce qui, quand j'y pense, pourrait servir de définition à la conscience. J'ai eu de la peine pour à peu près tout le monde ». Jument battue, adolescente égarée, braconnier violent, familles unies et désunies, policiers surnommés l'Athlète ou le Sifflet : tous sont concernés par ce chevauchement de lignes de vie, plus ou moins longues, dans ce récit à plusieurs entrées qui juxtapose les codes.

Peindre, pêcher et laisser mourir a été abordé dans le cadre d'une lecture commune avec HundredDreams, berni_29, Romileon et DianaAuzou, que je remercie. Ce roman comprend plusieurs facettes, en passant de magnifiques descriptions des grands espaces, à des références d'histoire de l'art, jusqu'à la traque proche du thriller. Il est donc particulièrement adapté pour un beau partage.

Peindre, pêcher et laisser mourir était ma première lecture de Peter Heller, mais elle sera suivie, à plus ou moins brève échéance, par d'autres car j'ai apprécié le rythme et les réflexions de l'auteur. J'aimerais notamment découvrir La constellation du chien, qui se trouve sur l'île déserte de HordeduContrevent, et La rivière, car j'ai beaucoup aimé me trouver dans cette nature grandiose dans laquelle on se sent tout petit.
Commenter  J’apprécie          3118
Jim un peintre pêcheur en vogue, sa peinture le fait vivre, il interprète la nature et des personnages dans ses toiles, il peint vite pour apaiser ses blessure mais cela ne suffit pas à le soulager de ses démons.
La pêche lui permet de s'évader, d'être en harmonie avec la nature mais aussi de revivre cette même passion avec Alce, sa fille, arrachée à la vie à l'âge de 15 ans.
Il tente d'apaiser sa colère mais son chagrin est son moteur, une petite étincelle et il s'enflamme Jim, c'est un sanguin, un écorché de la vie, le voilà prit dans un engrenage infernal le jour où il prend la défense d'une petite jument maltraitée.

Un roman captivant, par moment envoûtant lors des courses poursuites alors que l'écriture s'accélère tout comme notre coeur, de la beauté et de la poésie pour décrire la nature et Jim nous est dépeint comme un tableau par superpositions de petites couches. Un auteur qui allie la beauté de la nature et la noirceur de l'être humain.
Commenter  J’apprécie          280
Tortueuse et complexe est la voie vers les livres : de Peter Heller, c'est le précédent roman, « La constellation du chien » qui m'attire et autour duquel je tourne depuis longtemps comme un chien errant, sans trouver l'entrée. Et voilà qu'une voie intermetteuse se propose, sur les conseils avisés de ma libraire : je ne peins pas, je ne pêche pas mais veux bien me laisser mourir d'abord pour y accéder s'il le faut : va pour « Peindre, pêcher et laisser mourir », donc.

Au premier lancer de mouche, ce livre-là ferre parfaitement son lecteur, branché en direct dans le cerveau à la vitalité brute et hyper connectée de Jim, peintre et pêcheur donc, tout en animalité symbiotique avec la rivière qu'il explore, la nature qu'il peint et la noirceur du monde qui l'agresse sans filtre.
Jim ne pense qu'avec ses yeux, ses pinceaux, ses lancers, pour ne pas penser à sa fille assassinée, pour échapper à la laideur des hommes ; quand celle-ci se présente à lui sous les traits d'un braconnier particulièrement immonde en train de torturer un cheval, il pense avec ses poings : s'ouvre alors une vendetta et une course à l'homme que Jim fuira autant qu'il s'y jettera de front, armes et pinceaux en main, de l'eau jusqu'en haut des bottes.

C'est l'écriture qui happe dans ce roman, écrit voire peint à la première personne en une suite de tableaux bruts, hachés de couleurs vives et d'ombres inquiétantes, laissant apparaître un personnage assez fascinant et dérangeant tout en faisant la part belle à une nature magnifiée par le respect que le narrateur lui porte. La construction narrative quant à elle finit par pêcher un peu, pas des truites pour le coup, par effet de répétition et une croissante perte de crédibilité qui font qu'au bout d'un moment ça fonctionne moins bien.

Reste tout de même l'impact durable d'un sacré uppercut reçu à la lecture entre les deux yeux, et un surcroit d'envie de découvrir « La constellation du chien» !


Commenter  J’apprécie          270
Jim Stegner est un peintre du Sud-Ouest américain dont les toiles connaissent lentement mais surement de plus en plus de succès dans la galerie de son ami Steve. Amoureux de la nature, il nous fait partager ses contemplations de ces jolis paysages du Colorado au Nouveau Mexique, ses excursions et ses parties de pêche à la mouche. La peinture est quelque part pour lui le moyen d'appréhender le monde, le temps qui passe, et est révélatrice de ses sentiments enfouis. Il est en effet aussi un père meurtri, ayant perdu sa fille adolescente dont le spectre l'accompagne parfois quand il se retrouve seul. Il est donc un homme capable d'amour profond, pour ses proches mais aussi pour les animaux; c'est qui le poussera, tel un réflexe, une pulsion mortelle, à prendre la défense d'une petite jument maltraitée. Geste aux conséquences graves puisque s'ensuivra une chasse à l'homme, ajoutant à la poésie, le symbolisme de la peinture déjà évoquée un suspens bien ficelé.
Commenter  J’apprécie          60
J'ai suivi une recommandation de libraire de «Le temps d'un livre» à Pontarlier à qui j'ai demandé un polar pour lire avec de la musique country, un polar pas trop violent, un peu cérébral, surprenant où je ne devinerai ni le déroulement, ni la fin. Mission accomplie, ce livre correspond à tout cela.
Que des belles pêches, que des oeuvres d'art dérangeantes et fascinantes et quelques meurtres fort peu regrettables et du suspens tout du long.
Commenter  J’apprécie          50




Lecteurs (397) Voir plus



Quiz Voir plus

Nature writing

Quel philosophe est considéré comme le fondateur du Nature writing?

Ralph Waldo Emerson
Henry David Thoreau
Benjamin Franklin

10 questions
100 lecteurs ont répondu
Thèmes : nature writing , écologie , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *}