Je viens de relire Tintin au pays des Soviets… Quelle drôle d'impression !
N'ayant acheté cet album qu'à la fin des années 90 à l'occasion des 70 ans de Tintin, j'avais alors découvert ce qui pour moi était un brouillon de BD. Aujourd'hui avec le temps et un peu de distance, je peux mieux en donner un avis conséquent.
Certes le dessin a vieilli, et aujourd'hui aucun enfant ne s'attacherait à un récit aussi mal dessiné et au scénario certes décousu mais surtout au fil conducteur politique n'offrant aucun intérêt pour son âge.
Pour ces premières aventures
Hergé répondait à la commande expresse de l'Abbé Wallez, dont nous savons aujourd'hui qu'elle n'était pas innocente. Outre l'aspect volontairement anti-communiste, prégnant dans les années 20 et suivantes, on mesure l'innocence affichée du jeune auteur (22 ans et sans doute influençable) qui ne pouvant pas se déplacer à Moscou pour se faire une idée vraie, fut obligé de “copier-dessiner” le témoignage de Joseph Douillet ancien consul en Russie soviétique. Nul doute qu'aujourd'hui une telle production serait éreintée par les lecteurs et par la critique bien-pensante et politiquement correcte !
Pour en revenir au dessin lui-même, il faut convenir que c'est quand même la première aventure complète d'un personnage que découvrent les lecteurs du “Petit Vingtième” (supplément jeunesse du Vingtième Siècle) paraissant le jeudi. Ce supplément, davantage journal illustré que bande dessinée était néanmoins le support d'aventures de personnages dessinés avec un texte explicatif au-dessous, et quelques rares phylactères. Avec Tintin démarre une nouvelle façon de raconter une histoire, sans sous-titres,
Hergé exploite à fond le système des phylactères. Son dessin souvent hâtif est cependant très dynamique et s'inspire sans doute aucun, d'
Alain Saint-Ogan avec Zig et Puce qui ont à l'époque 5 ans d'existence, et de
Benjamin Rabier illustrateur animalier du début du siècle. Les contingences techniques de l'impression d'alors, contraignent
Hergé à s'exprimer graphiquement par traits simples et à-plats de noir, (il est loin à venir le temps de la couleur). Pour les gris ou motifs, il utilise les quadrillages simples ou encore les hachures de plus en plus serrées. On peut même noter l'utilisation de trames mécaniques sur certains dessins se passant dans la pénombre.
C'est donc en tant que précurseur qu'il faut voir
Hergé et ce premier album de Tintin. Utilisant des techniques nouvelles il donne naissance à la ligne claire qui sera sa marque de fabrique et deviendra le père de la bande dessinée moderne, inspirant de nombreux auteurs à venir. Même si
Hergé parlera plus tard d'une erreur de jeunesse à propos de cet album qu'il refusera toujours de redessiner, on ne peut qu'avoir de l'indulgence et un sourire complice en suivant les aventures improbables voire invraisemblables de ce nouveau héros qui marquera tout le XXe siècle (retour à la case départ !).